jeudi 12 avril 2007

Psycho : la rationalité instrumentale/ psychiatrie ?

Zone de Texte:        LA PAROLE QUI VOULAIT TUER LE « FOU »…  La parole « rationnelle : cause-effet-(fast)solution» en tant que «  rationalité instrumentale » comme mécanisme de défense contre la réalité psychique (délirante) du psychotique/sujet unique de l’Inconscient…Zone de Texte:        LA PAROLE QUI VOULAIT TUER LE « FOU »…  La parole « rationnelle : cause-effet-(fast)solution» en tant que «  rationalité instrumentale » comme mécanisme de défense contre la réalité psychique (délirante) du psychotique/sujet unique de l’Inconscient…Mémoire de D.E.S.S de Psychologie clinique et psychopathologie
Sous la direction de Gisèle HARRUS-REVIDI
Co-Jury : Paul-Laurent ASSOUN
Année universitaire 2003-2004
Université Paris 7


Roomi HANIF
TABLE
Introduction………………………………………………………………………………….p1
I. De quelle manière le corps soignant « moderne » et « rationnel » parle-t-il au psychotique aujourd’hui ? : Quelle parole lui adresse-t-il ? Pourquoi et comment tenter de comprendre/interpréter ce faux rapport/fausse communication avec le psychotique ? ………………………………………………………………………………………………..p2
1. De l’ « administration du psychotrope » à l’ « administration de la parole ‘rationnelle : cause-effet-(fast)solution’ »…….……………………………………………p2
2. Pourquoi et comment comprendre/interpréter ce faux rapport/fausse communication du corps soignant avec le psychotique ?...............................................................................p6
A. Premier exemple clinique avec le psychologue : M. La Bocca/« le cadavre sans tête »………………………………………………………………………………………….p8
B. Deuxième exemple clinique avec les infirmiers : Anne/« Je vais décéder avec cette piqûre »……………………………………………………………………………………..p12
C. La parole « rationnelle : cause-effet-solution » à travers l’atelier dit de « soin » : L’Atelier « connaissance de la maladie avec support vidéo», (Ou « Vole au dessus d’un nid de conscience ! »), animé par M. F, le psychologue/psychanalyste d’orientation cognitico-comportementale !................................................................................................p18
II. La parole « rationnelle : cause-effet-solution» en tant que « rationalité instrumentale » comme mécanisme de défense contre la réalité psychique (délirante) du psychotique/sujet unique de l’inconscient………………………………………………..p42
1. La rationalité instrumentale : une forme perverse de la rationalité……………….p42
A. La parole « rationnelle : cause-effet solution » en tant que rationnalité instrumentale déniant la réalité psychique du psychotique……………………...………………………p45
B. Le cas de Melle Céline Sharif…………………………………………………………..p52
C. Le cas de M. Hubeau……………...……………………………………………………p58
D. L’Atelier « Prendre soin de soi »…………………..…………………………………..p66
2. La parole « rationnelle : cause-effet-solution » en tant que rationalité instrumentale contre la réalité psychique du psychotique, pourrait-elle être rapprochée à la pensée opératoire ?............................................................................................................................p69
A. Le cas de M. Michel Caipre……………………………………………………………p70
B. Le cas de M. Willy Kanina, et autres patients………………………………………...p72
C. La parole instrumentale en tant que rationalité instrumentale proche du fonctionnement opératoire ou l’effort inconscient de rendre l’autre fou ?……….........p80
3. La mort des conceptions psychanalytiques et disparition du sujet...………………...p82
Conclusion………………………………………………………………………………….p86
Bibliographie……………………………………………………………………………….p89
Index………………………………………………………………………………………...p92

INTRODUCTION
Associer une philosophie de la liberté à une théorie du psychisme, c’est ce que les conceptions psychanalytiques ont su faire, ainsi elles ont témoigné d’une avancée de la civilisation sur la barbarie (E. Roudinesco, 1999)[1]
Ce mémoire est né d’un inquiétant constat : Cette association en question convient de moins en moins aux sociétés industrialisées dites « rationnelles » et « pragmatiques », où le sujet moderne tout autant que le soignant moderne « claudique sur les béquilles de la science et de la technique au détriment des exigences de la réflexion spéculative, philosophique et éthique ». En effet la distinction qu'Heidegger établissait entre la Science et la Pensée est plus que jamais pertinente. « On ne peut que s'affliger de la pauvreté des débats dits de Société et du dépérissement du sens du symbolique qui se manifeste à travers ceux-ci. ‘une société qui n'est pas éclairée par les Philosophes est trompée par les charlatans’ prévenait Condorcet - Ce trait de notre société touche au même titre la psychiatrie » (C. Barthélemy)[2]. C’est depuis que je fais mon stage au Foyer X que j’ai fini par comprendre l’importance cruciale de la question évoquée dans certains écrits que j’avais pu lire ou survoler, sur l’inquiétant « réductionnisme » de la souffrance psychique, plus exactement du sujet-unique souffrant, et tout particulièrement des patients psychotiques. Ce réductionnisme, je l’ai vu concrètement à travers bien entendu le comportement du corps soignant envers le psychotique, mais surtout à travers la parole qu’il lui adresse, et qui soulève bien plus de questions qu’on ne le pense…
C’est ainsi que je me suis intéressée à la manière dont le corps soignant parle au « fou », autrement dit à la parole qu’il lui adresse que j’appelle dans mon travail la parole « rationnelle : cause-effet-(fast)solution » (ou instrumentale, logico-normative…) et qui tend à faire disparaître le sujet. (Gardons en mémoire, tout au long de ce travail, que « la cause » ne doit être pas être interprétée comme « l’origine.. », mais bien comme une sorte de « cause-gadget »).
Nous verrons à travers ce travail que la parole instrumentale dans le domaine de la psychiatrie, et dont l’évolution est tout à fait conforme à un des phénomènes de société qu’est la « médicalisation de l’existence », serait une tentative de rationalisation de la folie. Elle serait donc proche du phénomène de la « rationalité instrumentale » qui supposerait un surinvestissement de la réalité externe, équivalent d’un contre-investissement de la réalité psychique, tout comme la pensée opératoire. Nous pensons que cette parole est de plus en plus « utilisée » comme moyen d’un rapport omnipotent à la réalité, et tout particulièrement dans les foyers post-cure où l’accent sur « la normalité » et la « réalité externe » est très prononcé. Le ton et le contenu de la parole à travers laquelle cette « rationalité instrumentale » s’exprime ne laisse aucunement place à un espace transitionnel entre le clinicien et le psychotique, cette dernière s’exprime soit sur un ton infantilisant, soit très autoritaire (ou encore les deux à la fois), et a pour but de donner des réponses stéréotypées à toute souffrance psychique ainsi qu’aux symptômes de la psychose... Elle s’exprime, comme nous le verrons, aussi bien à travers la communication avec les psychotiques hors des ateliers que dans le cadre de certains ateliers dits thérapeutiques ou « éducationnels ». Nous pensons que la « théologie du discours logique » est un des facteurs importants de l’échec du projet des foyers post-cure, car la prise en charge de ces patients dits stabilisés ne peut se faire sans la prise en compte de la réalité psychique de chacun d’eux à travers un vrai rapport, une vraie parole.
Entre la médicalisation de l’existence et la parole instrumentale, quelle place donne-t-on aujourd’hui à la réalité psychique du sujet unique ?
I. De quelle manière le corps soignant « moderne » et « rationnel » parle-t-il au psychotique aujourd’hui ? : Quelle parole lui adresse-t-il ? Pourquoi et comment tenter de comprendre/interpréter ce faux rapport/fausse communication avec le psychotique ?
1. De l’ « administration du psychotrope » à l’ « administration de la parole ‘rationnelle : cause-effet-(fast)solution’ »…
« La psychiatrie est ce que la société en fait. Plus précisément, c’est l’idéologie dominante d’une époque qui est responsable des représentations que suscitent les troubles psychiques… Les diagnostics médicaux, les explications neurobiologiques et les solutions pharmacologiques, aussi utiles soient-ils, ne sont qu’un aspect d’un ensemble complexe où le symptôme, le sens qu’il possède et le contexte qui l’entoure s’articulent de manière subtile et intemporelle (…), (p179) Les troubles psychiques pâtissent d’une image extrêmement négative dans l’esprit du grand public. En fait ce sont les gens souffrant de troubles psychiques qui sont gravement pénalisés. Dans notre monde logique et rationnel, où toute vérité doit être matérialisée et concrète, la souffrance psychique dérange, fait peur, ou pire, n’est pas crédible. ‘Il le fait exprès, secoue-toi, tu as tout pour être heureux, tu es paresseux, regarde ce que l’on fait pour toi, c’est de la simulation, c’est une tentative de suicide chantage…’ ». (E. Zarifian, 1994)[3].
Le problème qui se pose aujourd’hui dans l’approche des psychoses est le suivant : Après une longue « médicalisation - intensive - de la folie » (ce phénomène « un tel symptôme = telle molécule »), les soignants « rationnels » ont fini par adopter le « fonctionnement du médicament » ! Ils fabriquent une parole « rationnelle : cause-effet-solution » « X » face à une situation « Y » dont le but est d’entrer directement dans le corps/esprit du psychotique pour le modifier immédiatement. Autrement dit, le corps soignant « rationnel » adresse une parole au psychotique tout comme on lui administre un médicament ; il exige de surcroît que le résultat soit immédiat, et ce tout particulièrement dans les foyers post-cure. Par conséquent, et ceci est mon constat, au lieu d’être un espace transitionnel (P. Jeammet) ; cet endroit ressemble à un pensionnat où l’on « enseigne » d’une manière récurrente au « fou », comment retrouver la « normalité », la « raison » et « les bonnes manières ».
Avec la « médicalisation de l’existence » (E. Zarifian) qui touche la psychiatrie plus que n’importe quel autre domaine (et ce tout particulièrement en France[4]), la psychose se dissout dans la gestion du besoin pour mieux ignorer la souffrance, la jouissance et le désir du psychotique en tant que sujet unique. Au fond, le réel objectif de nos sociétés « rationnelles » est aussi simple que cela : éradiquer la folie comme on a éradiqué la peste, et tant qu’elles n’y arrivent pas, elles cherchent à l’objectiver. Nous ne serions pas dans l’erreur si nous parlions d’une sorte « domestication de la folie », transitoire, en attendant sa fin ultime. Entre temps, le psychotique, lui, a disparu… (On peut se demander ce qu’il avait – ou plus justement qu’a-t-il- donc de si effrayant à nous dire ?...).
De nos jours, donc, la psychiatrie biologique est fille de la découverte des médicaments du cerveau et de l’émergence de la neurobiologie. Elle n’est plus uniquement un courant de recherche mais est devenu surtout une Idéologie, cet engouement de nos sociétés s’explique par diverses raisons comme nous l’explique E. Zarifian dans Les jardiniers de la folie[5], (p108), «Les concepts de la psychiatrie biologique sont simples et sont hérités en ligne direct du modèle lésionnel des neurologues. Les principes de base sont énoncés ainsi :
Tous les comportements sont régis par le cerveau.
La connaissance du cerveau doit permettre de comprendre les comportements.
Certains comportements anormaux (maladies mentales) sont améliorés par des médicaments.
On connaît le mécanisme d’action cérébral de ces médicaments.
Donc, ces actions cérébrales s’exercent sur le déterminisme des maladies mentales.
(…) Pour résumer : toute maladie mentale correspond à une anomalie cérébrale précise, qui en est responsable, et sur laquelle il faut agir pour guérir le trouble ».
L’attrait pour un modèle scientifique comme celui-ci séduit, et je dirai même fait « aveuglement rêver», car il ne doute pas de lui : il va bientôt nous donner toutes les solutions adéquates, mêmes aux problèmes les plus graves… (Pendant ce temps, vivons dans l’illusion…).
Comme le dit M. Zafiropoulos[6], ce réductionnisme technico-thérapeutique écrase l’abord des maladies mentales (et plus généralement du fonctionnement psychique) sur le registre biologique de la subjectivité. En 1991 déjà, le DR. Ayme J., interviewé par M. Zafiropoulos, pour la Revue Synapse (de février 1991, dont l’interview est intégré dans Tristesse dans la modernité[7]), nous met en garde contre ce type d’approches qui tentent de diverses manières à objectiver la folie : « L’influence de la psychiatrie dite « biologique » c’est-à-dire circonscrite aux neurones, risque fort d’être plus grande pour la nouvelle génération formée de façon différente par suite de la disparition de l’internat spécifique en psychiatrie (…). Il peut en résulter que la psychiatrie, banalisée aux niveaux des filières de formation, se réduise à la pathologie du cerveau. La cohorte des malades rentrant dans le champ de la chronicité (…) risque de basculer dans le champ social (…). Là est le danger avec la perte de la place prépondérante de la psychanalyse dans la démarche de soins ». En effet, avec l’évolution de l’esprit pseudo-scientifique de tout individu moderne, nous sommes confrontés aujourd’hui à une nouvelle forme de clinique d’une pauvreté étonnamment réductrice apportant très peu au plan de la pratique., dans la Revue Synapse ( de mars 1992, dont un extrait est encore une fois intégré dans Tristesse dans la modernité), le Dr. Bailly-Salin confie à M. Zafiropoulos, « qu’il faudrait élaborer une nouvelle clinique. Que nous ne partions pas sans l’avoir fait. L’espèce de mort de la psychanalyse qui se lit dans la psychiatrie actuelle me consterne littéralement. Un de mes internes me disait il y a quelques jours ; vous avez utilisé un terme très intéressant : le narcissisme. Qu’est-ce que c’est ? Qu’on puisse entendre ça en 1991 est tout à fait consternant. Actuellement je vais peu dans les congrès et quand j’y vais je prends un choc car je ne reconnais pas le discours qui sous-tend la pratique ; alors on a des études raffinées sur les échelles, des études sur la précession de l’anxiété sur la dépression, ou réciproquement et ça m’est tellement étranger que je me dis : mais comment en sommes-nous arrivés là ? ».
En effet, comment en sommes nous arrivés là ? Et Pourquoi la parole adressée au psychotique ressemble-t-elle étrangement à une utilisation métaphorique ou déformée du modèle scientifique ?... A qui parle-t-on au juste ? Au « fou », à l’ « homme neuronal (déficient) » ou encore à la nouvelle version de l’ « homme pharmacologique » ?...
M. Zafiropoulos, toujours dans Tristesse dans la modernité, nous invite à faire connaissance avec cette toute nouvelle version de l’homme : « p.52, Une nouvelle ‘version de l’homme pharmacologique’ avec sa mémoire, son attention, son traitement de l’information semble en train de se révéler. Tout indique qu’il est à l’image de l’ordinateur que nos chercheurs ont sous leurs propres yeux. Entre le ‘software’ de la vie psychique et le ‘ hardware’ de la vie du cerveau, la connexion serait maintenant (idéalement) recherchée dans un ‘ mariage’ réunissant de manière assez saisissante ‘ la philosophie analytique’ (Rusell, Putnam, Quine, Dennett) aux efforts de la psychiatrie biologique, et des neurosciences. L’alliance prenant corps dans le champ de la psychopharmacologie. Ceci suffira-t-il à légitimer (en après coup) le ‘ bloc au pouvoir’ qui depuis de longues années – en réunissant la psychiatrie biologique, les neurosciences, la psychopharmacologie et les intérêts industriels du champ – semble régner ‘ sans partage’ sur le champ psychiatrique et le marché qu’il représente ? ».
2. Pourquoi et comment comprendre/interpréter ce faux rapport/fausse communication du corps soignant avec le psychotique ?
Cette version de l’ « homme neuronal », ou l’ « homme pharmacologique » prend de plus en plus place dans l’esprit moderne. Ce développement réductionniste des discours en général basés sur le modèle soi-disant scientifiques dans le domaine de la psychiatrie soulève de sérieuses questions, car il semblerait que nous soyons là, face à un rejet évident du psychotique en tant que tel, autrement dit lui aussi reconnu dans son altérité, et comme sujet unique de l’inconscient ; le psychotique avec sa réalité psychique qui vient signifier quelque chose…
La réalité psychique du patient psychotique semble être en « voie d’extinction » dans nos temps modernes… Pourra-t-on se passer d’elle ? Est-elle vraiment un superflu démodé et dérangeant ? En la déniant, le corps soignant moderne arrive-t-il à ne faire d’elle qu’une belle illusion/conception de la psychanalyse ?
Pourquoi se poser d’emblée ces questions, tout particulièrement autour de la prise en compte ou pas de la « réalité psychique » du psychotique dans le domaine de la psychiatrie française au jour d’aujourd’hui, alors que ce concept fondamental de la psychanalyse semblait, tant bien que mal, y avoir fait sa place depuis plus d’un demi siècle ?...
Comme nous le voyons ces questions se posent en quelques lignes, mais y répondre sérieusement m’amène à écrire un mémoire autour du sujet. Et nous allons voir, tout au long de ce travail, pourquoi justement, c’est bien « aujourd’hui » que ces questions doivent être posées et réfléchies.
J’ai fait mon stage de DESS, dans une des institutions les plus renommées de Paris, plus précisément dans un Foyer post-cure X, qui a pour but l’insertion sociale (au sens large) de ses patients.
Ce Foyer accueille une trentaine de psychotiques adultes dits stabilisés. Le personnel est composé d’un responsable, de plusieurs infirmiers, et d’un seul psychologue. Le psychologue/psychanalyste en question s’appelle M. F., et c’est bien évidemment sous sa direction que j’ai effectué mon stage, qui je le dis dès à présent, a été un très mauvais stage du point de vue de ma formation à Paris 7. En effet, c’est régulièrement que j’ai pris des chocs au sein de ce lieu ; ceci étant dit, si je regarde cette expérience sous un autre versant, j’ai pu « grâce à » cette réalité comprendre l’importance cruciale de la question évoquée dans certains écrits que j’avais pu lire ou survoler, sur l’inquiétant « réductionnisme » de la souffrance psychique, ou plus exactement du sujet-unique souffrant, et tout particulièrement des patients psychotiques. Ce réductionnisme, je l’ai vu concrètement à travers bien entendu le comportement du corps soignant envers le psychotique, mais surtout à travers la parole qu’il lui adresse, et qui soulève bien plus de questions qu’on ne le pense…
Mon hypothèse de travail est la suivante : La parole « rationnelle : cause-effet-(fast)solution » adressée au psychotique, d’un ton autoritaire, infantilisant, ironique ou autre, (et dont l’évolution est tout à fait conforme à un des phénomènes de société qu’est la « médicalisation de l’existence »), serait une tentative de rationalisation/objectivation de la folie. Dans ce sens, cette parole (et bien évidemment le comportement qui s’y rattache) se rapprocherait étroitement du phénomène de la « rationalité instrumentale », car sans révéler une pathologie au sens propre du terme, cet inquiétant réductionnisme de la part du corps soignant « rationnel/pragmatique », supposerait un surinvestissement de la réalité externe, équivalent d’un contre-investissement de la réalité psychique, tout comme la pensée opératoire ; et se donnerait l’illusion de donner une réponse vraie à tous les symptômes de la folie, ce qui le rapprocherait de la « toute-puissance » de la pensée. Je pense que la parole « rationnelle : cause-effet-(fast)solution » est de plus en plus « utilisée » comme moyen d’un rapport omnipotent à la réalité de la folie, et ce, tout particulièrement dans les foyers post-cure. Cette parole, proche du phénomène de la rationalité instrumentale, pourrait être compris comme un déni de la réalité psychique (délirante) du psychotique/lui aussi sujet unique de l’Inconscient…
Afin de continuer à réfléchir avec des arguments « concrets » autour de ce « réductionnisme », j’intègre deux exemples cliniques qui découlent, bien évidemment de mon expérience au Foyer X.
Comme je l’ai dit plus haut, ce réductionnisme se manifeste très clairement à travers la parole que l’on adresse aux psychotiques, que cela soit dans le cadre d’un atelier (thérapeutique ou éducationnel) ou hors atelier. Pour l’instant je donne deux exemples qui se sont produits hors ateliers.
A. Premier exemple clinique avec le psychologue : M. La Bocca/« le cadavre sans tête »
Nous sommes en novembre 2003.
-« Vous êtes la nouvelle stagiaire ? La stagiaire du psychologue M. F. ? Moi je m’appelle Jean-Marc La Bocca, mais j’ai changé de nom, je m’appelle Farid Latif. Je suis un hyperactif. On m’a dit que je parlais beaucoup. Et toi ? Et vous, excusez-moi, vous vous appelez comment ? ».
-« Je m’appelle R.».
- « Vous êtes là pour combien de temps ? ».
- « Je serai là jusqu’au mois de juin ».
M. La Bocca est un patient schizophrène dit stabilisé, il a 25 ans. Nous sommes dans la salle principale où les patients peuvent tous se retrouver pour regarder la télévision, ou pour jouer aux jeux de société.
-« Je suis dans ce foyer, mais franchement je suis mieux que les autres, il y en a ici qui sont complètement barges ! Moi je suis pas comme eux. Tu sais ce qui s’est passé avec moi ? J’ai commencé à délirer, j’avais trop bu, j’avais pris de la drogue aussi. Mon problème ça toujours été mon beau-père, je peux pas le voir, je le hais. J’ai toujours cherché qui était mon vrai père. Ca te dérange pas qu’on parle ? Tu as quelque chose à faire ?
-« Non, je vous écoute ».
-« Ben tu vois, moi mon problème c’est lié à mon père. Y a des choses que j’arrive pas à comprendre… Il est mort quand j’avais 6 mois. Je ne sais même pas quelle tête il avait, je veux voir une photo de lui, au moins une fois. Je suis en contact avec son frère, mais c’est que des contacts téléphoniques, il habite trop loin, il m’a promis qu’il me montrerait la photo de la tombe de mon père. Lui, il peut pas se déplacer, il est invalide, il a eu un accident. J’aimerais le rencontrer un jour. Il faut que je voie qui était mon père. La famille de mon père elle est bien, celle de ma mère je la déteste. Tout ce que je sais c’est que mon père était alcoolique, je me dis alors que c’est peut-être génétique, tu sais je bois beaucoup, j’arrive pas à m’arrêter. Mais là tu vois, j’ai décidé de remplacer l’alcool par le « coca ». Même mon beau-père est alcoolique ».
-« Vous avez pu parler de cette histoire avec quelqu’un ? ».
-« Avec qui ? ».
-« Un psychologue, ou votre psychiatre par exemple ».
-« Les psychiatres ! Vous savez pas ? Ils n’écoutent rien ! Ils te donnent direct des médicaments, et c’est tout ! ».
-« Et un psychologue ? ».
-« Non, personne ne m’a rien proposé ».
-« Vous voulez en parler ? »
-« Oui. Je te raconte, mon père était sicilien, c’était un catholique, sa mère à lui était berbère, et elle était musulmane. Ma mère et mon beau-père ils sont français, et catho. Moi, je me suis converti à l’Islam, et je pratique la religion, je mange « halal », je fais le ramadan, je fais les prières, et tu vois c’est pour ça que j’ai changé de nom. J’aime pas Jean-Marc La Bocca. C’est quoi ce nom ? Je m’appelle Farid Latif !
Chez moi, on m’aime pas. Ils font tout pour m’énerver. Mon beau-père, il achète exprès du porc pour m’énerver, et je m’engueule tout le temps avec lui. Je me demande comment ma mère elle fait pour vivre avec ce porc ! Il est sale ce type, il se lave jamais, heureusement qu’elle n’a pas eu d’enfants avec lui ! C’est un alcoolique !... Moi, j’ai envie de me débarrasser de l’alcool, je veux vraiment, mais j’arrive pas…
Oueh, il faut que je te raconte comment ça s’est passé, j’ai rien compris, vraiment, il faut que je te dise. C’était le 14 juillet, l’année dernière, ou c’était la fête de la musique… Je sais plus. Mes parents m’ont mis à la porte, alors j’errais dans Paris, à Bastille. Et tu sais quoi ? Des policiers se sont mis à courir derrière moi, et ils ont commencé à tirer sur moi, ils ont abîmé mon baladeur ! Vous savez, je l’ai gardé avec moi comme preuve, et je l’ai montré à d’autres policiers, et ils m’ont répondu : ‘chez les policiers, il y a des gentils, et des méchants’ !... Tu vois, ça, j’ai pas compris, j’ai pas compris l’histoire dans son entier… Mais il y a un truc dont je suis à 100% sûr c’est que j’ai vraiment vraiment vu un cadavre d’un « skinhead », par terre, sur la route, c’était un corps sans tête ! Ca c’était horrible, d’où il venait ? C’était je te jure un cadavre sans tête ! Comme ça au milieu de la route ! Je l’ai montré à tout le monde… Regardez le cadavre ! oueh !...
Ah oueh ! Tu sais, je vivais dans une cité, et des potes à moi parlaient souvent de couper la tête des ‘skinhead’, mais c’était pour rire, moi je l’aurais jamais fait.
Vous savez, j’ai fait de très mauvaises choses dans ma vie, mais bon pas tant que ça non plus, c’est que dans la cité j’avais des amis, mais je me battais jamais contre eux, j’ai même empêché des conflits, tu sais les guerres entre cités ? On m’aime bien en général. Mais tu vois je me sens coupable, j’ai vendu de la drogue, et cette image de drogué, elle m’énerve. J’ai tout arrêté pour travailler, je me sens coupable d’avoir donné le mauvais exemple aux plus jeunes, et maintenant quand je les vois (vendre de la drogue) je me dis que c’est de ma faute.
J’ai fait l’armée aussi, et là, c’était le meilleur moment de ma vie. Je devais partir en Yougoslavie, j’avais même préparé d’autres potes à moi pour partir avec moi là bas. Finalement, ça s’est pas fait, et il y a eu des « rechutes » après l’armée.
J’ai toujours eu des problèmes psychiatriques, je n’ai jamais été bien, c’est quelque chose avec mon père qui m’a rendu fou, j’ai trop pensé, j’ai pas arrêté de chercher qui il était, et surtout à quoi il ressemblait, ma mère elle voulait jamais rien dire…. »
Le psychologue fait brusquement apparition dans la salle. Il se place en face nous, reste debout, et d’un ton autoritaire s’adresse à M. La Bocca: « M. La Bocca ! Pouvez-vous vous taire un petit peu ? Je vous ai observé. Et il faut que je vous dise qu’il faut que vous appreniez à écouter votre interlocuteur ! Je vous rappelle que vous êtes ici dans un lieu de soin qui a pour projet votre insertion sociale, vous devez donc ici, apprendre à prendre en compte l’autre, et vous conduire le plus normalement possible. Vous parlez tellement que celui qui vous écoute ne peut plus rien vous dire, apprenez à communiquer, à parler certes, mais aussi à écouter ; je me répète, mais c’est essentiel pour vous, vous êtes ici pour apprendre un certains nombre de choses qui vont seront utiles en dehors du Foyer… Vous ne devez rien faire avec votre « toute-puissance » ! Or là, vous êtes dans une sorte de toute puissance, c’est un monologue que vous faîtes, et ce n’est pas comme ça qu’on peut communiquer avec l’autre. Apprenez à repérer vos symptômes, quand vous parlez trop, arrêtez-vous, et dîtes-vous que vous avez quelqu’un en face de vous, et il faut aussi l’écouter…
M. La Bocca : Oui mais j’étais simplement en train de dire à votre stagiaire que…
Le psychologue : « Laissez moi terminer s’il vous plaît ! Qu’est-ce que je viens de vous dire ? Il est essentiel de vous rappeler que ce n’est pas vous qui instituez les règles ici, j’ai entendu un certain nombres de plaintes de la part des soignants vous concernant, et je voudrais faire une petite mise au point. Ici, ce n’est pas un foyer d’habitation, mais de soin (…)( dans le mémoire les parenthèses avec des points de suspension signifieront que le discours était trop long pour pouvoir être retranscris ! ), ce serait dommage qu’il n’y ait plus de place ici pour vous, n’est-ce pas ? Alors M. La Bocca, vous vous conformez strictement aux règles du Foyer X qui sont les suivantes : (…).
M. La Bocca : Oui M. F., d’accord je comprends, mais vous parlez d’hier soir ? »
Le psychologue : Pas seulement, vous aviez bu combien de verres en fait ? »
M. La Bocca : « Un verre de Wisky ».
Le psychologue : « Je ne vous crois pas ! Désolé. Mais avec un verre on ne rentre pas dans cet état, je suis désolé mais je ne vous crois pas, ce n’est pas logique. Ayez un minimum de raisonnement, c’est aussi ça qu’on voudrait vous apprendre ou réapprendre au Foyer X, arrêtez de vivre dans votre petit monde, la réalité ce n’est pas ça, prenez la compte s’il vous plait ! ».
M. La Bocca : Je…
M. F : Laissez moi terminer s’il vous plait, je vous répète, on est ici dans un foyer de soin, on doit faire une évaluation de vos capacités (…). (Très souvent lorsque le psychologue parle il ne m’est plus possible de tout restituer, il énonce longuement toute une série de « capacités », de « normes » sur lesquelles les patientes doivent travailler… (Je résumerai son discours à cela : « vous avez tel « défaut » : on va corriger cette « anormalité », c’est le but du foyer, si vous ne voulez pas faire l’effort de faire « alliance », vous êtes « viré » -c’est un mot que je n’invente pas mais qu’il emploi fréquemment-).
M. La Bocca : D’accord, M. F. J’ai bien compris, et j’essaie.
M. F., le seul psychologue du Foyer X., nous quitte après un très long discours « logico-normatif » qui me paraît déjà être une « inquiétante langue moderne ».
C’est mon premier mois dans l’institution, et je suis confuse par ce qui vient de se passer. Je suis profondément étonnée de la manière dont le psychologue s’est adressé à M. La Bocca.
M. La Bocca est mal à l’aise et fait semblant de continuer l’histoire qu’il avait entamée, puis quelques minutes plus tard il me dit qu’il a un rendez-vous, et me quitte. Tout au long de l’année, il m’évitera… sauf pour me donner un jour un recueil de poèmes et un arbre généalogique (voire ce document dans l’Index de ce mémoire), et il s’en ira aussi vite comme s’il n’avait plus le « droit » de me parler, ou me parler était quelque chose d’ « anormal »…
Après cet entretien que je trouve très riche, je fais un compte rendu, où je pose quelques questions concernant le sens du délire, (tout particulièrement « le cadavre sans tête » qui peut être compris comme « le père sans visage », tout en évitant, bien évidemment de vouloir à tout prix faire une interprétation sauvage… Je tente également d’articuler des questions autour des conduites addictives, le changement de nom de M. La Bocca… Mais les pages écrites autour de ce sujet sont lues par M. F. pour être rangées dans son tiroir avec un sourire ironique : « Je te montrerai ça à nouveau à la fin de ton stage ! Et tu me diras toi-même ce que tu en penses ! ».
J’insiste : « Vous ne pensez pas qu’il faudrait entamer un travail avec M. La Bocca, il en a besoin et de plus il est demandeur… ».
M. F. refuse, et les motifs sont les suivants : « Que veux-tu travailler ? On ne peut pas savoir ce qui est vrai et ce qui est faux avec lui, il délire ! Nous avons ici une autre visée : les aider à pouvoir accéder à une « insertion sociale » au sens large du terme (…), lui apprendre justement à s’ouvrir à la réalité des choses ». Il répète : « Il délire, comment tu veux savoir sur quoi tu vas te baser ? Fais très attention ! Fais très très attention, tout ce qu’il a dit ça peut être de l’ordre du délire, et ne t’approche pas comme ça des patients psychotiques, tu risques de te mettre dans une situation où tu ne pourras plus t’en sortir, pour le moment reste à l’écart et regarde…».
B.Deuxième exemple clinique avec les infirmiers : Anne/« Je vais décéder avec cette piqûre »
Comme toujours au Foyer X, la salle des soignants est grande ouverte. Autour d’un énième café, on y parle de tout, aussi bien de soi que des patients, et ce à voix haute. C’est dans cette atmosphère, qu’entre quelques discussions, surgit un patient pour formuler une demande.
Nous sommes le 28 Janvier 2004, Anne, patiente schizophrène, la cinquantaine, envahie d’une angoisse massive, entre dans la salle des soignants. D’une voix enfantine et effacée, elle dit : « Je ne veux pas qu’on me fasse la piqûre… ».
Elsa (infirmière) répond d’un ton agacé : « Ah ! Non ! Encore la même histoire ! ».
Anne d’un ton toujours soumis continue : « Mais je vais décéder avec cette piqûre, ça fait un an, et j’en ai pas besoin maintenant… Je suis angoissée, je vieillis, j’ai un bras qui enfle, il devient plus gros que l’autre ! J’en ai marre des médicaments, et puis ça me constipe… Je vais mourir… ».
Elsa répond d’un ton agressif : « Anne ! Enfin changez de comportement ! Vous prenez du plaisir à parler de la mort, prenez en conscience et tout ira mieux ! C’est tout ! ».
M.F. est présent, et fait la sourde oreille. Tandis que moi, je me mets à écrire la scène déplorable dont je suis constamment témoin.
Anne : « Je veux autre chose, les neuroleptiques, ça va me tuer ! ».
Elsa : « Mais Anne ! Pourquoi vous ne pensez qu’à ça ? Pensez à autre chose ! Est-ce que vous pensez parfois à des choses qui vous produisent du plaisir ? Ca fait du bien de penser à autre chose vous savez, allez sur Internet, promenez vous dehors, il fait beau, profitez-en. Marcher c’est bon pour la santé, et vous rencontrerez des gens, sortez de vos idées noires! Regardez le monde autour de vous un peu, il est peut-être temps non ? ».
L’ambiance devient ironique…
Anne : « Je ne veux plus qu’on me fasse la piqûre, je vais mourir, j’en ai pas besoin ».
Elsa : « Pas besoin de la piqûre, vous rigolez j’espère, moi je pense même qu’il faut vous augmenter la dose, sans la piqûre vous savez très bien ce qui se passe. La piqûre elle vous permet d’aller mieux, être mieux dans votre tête. Regardez, maintenant, en fait vous êtes dans cet état parce que vous en avez besoin, allez on ne discute plus de ça, la piqûre vous devez l’avoir de toutes façons ! Vous savez très bien que ça ne sert à rien de faire tout ce cinéma, parce qu’on vous la fera quand même la piqûre, et ce, pour votre bien Anne ! Essayez de comprendre… ».
Céline (autre infirmière) en présence d’Elsa devient elle aussi ironique : « Ouain ! Ouain ! Faut arrêtez de tout le temps se plaindre, de tout le temps pleurnicher, nous ce qu’on veut c’est votre bien, mais si vous ne faîtes pas l’effort de comprendre ça, alors, je ne sais plus ce qu’il faut faire. Faîtes un effort Anne, vous pouvez faire cet effort, ce sera aussi bien pour vous que pour nous… ».
Anne : « Je suis constipée aussi, et je peux pas boire d’eau ».
Elsa : « Vous étiez constipée quand vous étiez enfant ? ».
Anne : « Oui ».
Elsa : « Ah ben voilà ! Faut pas chercher plus loin, vous avez la réponse devant vous ».
Céline : « Anne, dîtes-moi, vous vous promenez dans Paris ? ».
Anne : « Non ».
Elsa : « Non ! Parce qu’elle a mal au bras ! Pas vrai ? Mais ce n’est pas une raison pour ne pas penser à autre chose !».
Céline : « Soyez au courant de l’actualité Anne, lisez, faîtes ce que les autres font, occupez vous, essayez de vous créer des activités, et vous penserez moins à ci et à ça… ».
Anne : « Je m’en vais, je suis préoccupée par la constipation, je ne peux pas boire, j’ai peur de l’eau, et j’ai mal au bras ».
Elsa : « Alors buvez un coup de bière ! ».
Anne : « Dimanche, je n’allais vraiment pas bien ».
Elsa : « Oui, c’est bien pour ça, il vaut faut l’injection ».
Anne : « Il y a des choses qui se passent dans mon corps, je n’allais pas bien du tout, je sais pas comment vous expliquer ».
Elsa : « Anne ! Tout le monde va pas bien, on est tous comme ça, il y a des jours où on ne va pas bien, mais on ne casse pas les pieds des autres. Ah ! Mais regardez, on dirait une clocharde ! Vous êtes habillez comme une clocharde ! Le bain ça fait couler de l’eau ! J’ai presque envie de vous donner un euro Anne ! Changez vous, lavez vos vêtements, coiffez-vous, soyez présentable, regardez vous, vous n’êtes pas présentable aux yeux de la société !».
Anne : « J’ai mal au bras ».
Elsa : « Ca fait vingt fois que vous nous dîtes la même chose ! Changez de disque ! Parlez nous d’autre chose, vous avez vu il faut beau ! ».
Anne : « Moi j’ai peur de décéder avec la piqûre ! Je ne veux pas aller à ce rendez vous ».
Elsa : « On va tous mourir Anne ! La vie c’est comme ça, on vit et on meurt, mais enfin Anne, c’est du masochisme : hmmm ! Ça fait du bien de se faire du mal, hmmm, hmmm ! De toutes façons sachez Anne que vous êtes obligée d’aller au rendez-vous, on ne manque jamais un rendez-vous quand on est bien élevé, regardez, moi, ça ne m’arriverait jamais de me dire que je n’irai pas à un rendez-vous, c’est très mal poli ».
Céline : « Regardez, tout le monde vous tient le même discours, on n’est pas tous à côté de la plaque quand même ? Allez sur Internet Anne, ayez des occupations, ça vous changera les idées… ».
Anne : « J’ai des choses dans mon corps… J’ai froid ».
Elsa : « quel rapport ? ».
Julien, l’unique infirmier du Foyer, d’ordinaire très calme, s’énerve et veut mettre fin à cette discussion.
Julien : « Allez ! Vous aurez votre piqûre de toutes façons ! (…), l’injection c’est essentiel etc., ça vous permet de (…)».
La scène se termine par des rires. Anne s’en va.
Le psychologue n’est pas intervenu, il regarde les soignants et leur dit : « Ben, oui, la piqûre c’est essentiel ! On ne peut pas faire autrement de toutes façons ! Il faut qu’ils en prennent conscience tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre ».
Les exemples parlent d’eux-mêmes et j’aimerais à nouveau reprendre ce que E. Zarifian dit que « dans notre monde logique et rationnel, où toute vérité doit être matérialisée et concrète, la souffrance psychique dérange, fait peur, ou pire, n’est pas crédible. ‘Il le fait exprès, secoue-toi, tu as tout pour être heureux, tu es paresseux, regarde ce que l’on fait pour toi, c’est de la simulation, c’est une tentative de suicide chantage…’ ».
Reprenons ces paroles adressées aux patients, et étudions-les de plus près. Qu’elles soient adressées de la part des infirmiers ou de la part du psychologue, nous remarquons qu’elles sont presque toutes identiques, stéréotypées (à la longue apprises par cœur et récitées sans même plus donner une certaine « présence » humaine) ; elles s’étayent sur une « réalité externe » orientée vers une « réalité conventionnelle ». Le corps soignant ne doute plus de rien, (pas une fois je ne l’ai entendu se remettre en question vis-à-vis de ces paroles récurrentes « récitées » à longueur de journée), et se donnent ainsi l’illusion de « tirer » le patient psychotique vers la réalité extérieure, vers la « norme », par des paroles qui se pensent logiques, rationnelles, en fait, tout à fait conforme, à mon sens, aux paroles en général de l’individu hypermoderne des sociétés industrialisées et pragmatiques ; autrement des paroles qui forment un discours qui claudiquent sur les béquilles de la science et de la technique au détriment des exigences de la réflexion spéculative, philosophique, psychologique et éthique.
Cette parole qui ramène sans cesse à quelque chose de « rationnel : cause-effet-solution », orientée vers l’extérieur, la norme (des références constantes aux sorties, au cinéma, aux amis, aux vêtements, à la propreté etc.…). Que veut-elle signifier au juste ? Survolons ce discours : - « Je ne vous crois pas, ce n’est pas logique, ayez un minimum de raisonnement, c’est aussi ça qu’on voudrait vous apprendre ou réapprendre, arrêtez de vivre dans votre petit monde, la réalité ce n’est pas ça, prenez-la en compte s’il vous plait, pourquoi vous ne pensez qu’à ça ? pensez à autre chose, allez sur Internet, promenez vous dehors, il fait beau, profitez-en, marcher c’est bon pour la santé, vous rencontrerez des gens, sortez de vos idées noires, regardez le monde autour de vous, il est peut-être temps non ? Il faut arrêter de tout le temps se plaindre, nous ce qu’on veut c’est votre bien, mais si vous ne faîtes pas l’effort de comprendre ça, alors…. Faîtes un effort, vous pouvez faire cet effort, ce sera aussi bien pour vous que pour nous, soyez au courant de l’actualité, lisez, faîtes ce que les autres font, occupez vous, essayez de vous créer des activités, et vous penserez moins à ‘ci’ et moins à ‘ça’… Tout le monde va pas bien, on est tous comme ça, mais on ne casse pas les pieds des autre, changez-vous, lavez vos vêtements, coiffez-vous, soyez présentable, regardez-vous, vous n’êtes pas présentable aux yeux de la société etc.,..». (J’ai envie de dire qu’on se croirait presque à la télé, je pense tout particulièrement à des émissions où l’on nous donne de « bon conseils » à nos divers « problèmes »).
Autrement dit, nous avons affaire à un discours soi-disant pragmatique fort ressemblant à une sorte de modèle rationnel, dans le sens où il ne tient compte que du « concret », et pense apporter des solutions « concrètes » sans se soucier du « superflu »; il « aide » le patient psychotique dans l’immédiateté du moment à devenir un peu « comme les autres »; il provoque un certain « résultat » (il vaut mieux bannir la question de savoir si ce résultat – si il y a résultat ( !)- dure dans le temps)… L’accent est fortement mis sur la volonté du patient de se débarrasser de ses troubles. En quelques mots, si le « fou » n’a totalement perdu sa raison, c’est qu’il lui est certainement possible d’être quand même raisonnable s’il le veut vraiment, et il faut l’aider en lui faisant « prendre conscience » constamment de la réalité externe… Ce rappel récurrent dont la conséquence fâcheuse est comme nous l’avons remarqué, la banalisation ou pire la discréditation de la souffrance, du délire, de l’angoisse de la mort, de l’angoisse de déformation corporelle, des phobies… En quelques mots de la réalité psychique du fou !
A mon sens cette parole « rationnelle : cause-effet-solution » a différents caractères : infantilisant, autoritaire, ou intellectuel, ou les trois à la fois selon les circonstances. C’est une parole instrumentale dont le contenu est le même et se rapproche du phénomène de la rationalité instrumentale… Par exemple, nous sommes face à un symptôme : il parle beaucoup (logorrhée), la solution (« fast- solution ») est la suivante : lui apprendre à se taire, à écouter l’autre, (« voilà la réponse » !). Un autre exemple : Le symptôme est le suivant : elle a peur de décéder avec la piqûre (angoisse massive de la mort) = sortez, modifiez votre pensée, allez sur internet (« voilà la réponse ! »)…
Ce qui est insupportable dans nos sociétés c’est d’être dans le doute, et ne pas avoir ou ne pas pouvoir donner des réponses « toutes faites ». A ce sujet, on pourrait dire que ce que P-L Assoun écrit dans « Le préjudice inconscient et ses plus-values sociales »[8], dans Les solutions sociales de l’inconscient », est proche de cette « idéologie » de donner une réponse stéréotypée à tout symptôme, elle me réconforte dans l’idée que ce mode de pensée « cause-effet-solution » devient la nouvelle façon d’être de l’homme moderne en général : «(p19-20) : « Cet Autre, il a des solutions à tout symptôme, qui ont pour objectifs d’en produire la dissolution, de ce symptôme et, avec, - car le sujet colle au symptôme – la dissolution de son sujet. (…) D’un symptôme ou d’un handicap, quoi faire ? Créer une association. Voilà la solution. D’un trauma, que faire ? Une aide aux victimes, voilà la solution. D’une anomie –sexuelle-, que faire (homosexualité) ? Une subculture (gay), voilà la solution. D’une anomie socio-culturelle (déculturation), que faire ? Une forme de création (rap), voilà la solution. D’une anomie identitaire (toxicomanie), que faire ? Transformation des biens chimiques en pousse-à-créer, voilà la solution. D’une anomie socio-économique (chômage, surendettement), que faire ? Une autogestion de la pénurie, de la misère « à tempérament », voilà la solution. Du vieillissement que faire ? Il n’y a, disait Freud, que la mort qui est pour rien (« le clivage du moi dans le processus de défense ») : il n’avait pas prévu son institution en soins palliatifs, où l’Autre social ne lâche pas le sujet qu’il n’ait rendu le dernier souffle ».
En poussant ce « raisonnement » jusqu’au bout, on peut dire que cette idéologie finit par « jouer avec le fou » ! Elle lui indique la même consigne, et c’est ici que la situation devient bien plus qu’inquiétante, voire même dangereuse. En effet, cette nouvelle vague qui découle de cette idéologie de la « rationalité : cause-effet-(fast)solution », a donné naissance à des «thérapies » de type « (re)éducation/(ré)apprentissage » des psychotiques, autour desquelles de très nombreuses études tentent démontrer l’action thérapeutique, mais qui me laisse bien perplexe, car dans la réalité, dans ma position extérieure et critique, ce n’est pas ce que j’ai observé. Avant de présenter le deuxième exemple clinique illustrant ce qui vient d’être dit, je désire intégrer un passage de l’article de A. Green, « Méconnaissance de l’inconscient (science et psychanalyse) »[9], afin de insister sur le fait que ce « mode de travail/fonctionnement » qui cache dernière lui la parole « rationnelle : cause-effet-solution » n’est pas uniquement pratiqué au Foyer X., mais semble être devenu « le nouveau rapport », très « en vogue » avec le psychotique : «(p178-179) Lorsqu’on se tourne vers le pôle non accessible par des méthodes biologiques de la dite multifactorialité, on est confondu devant l’appauvrissement délibéré, ou franchement débilitant, des paramètres dits psychologiques. Un exemple récent : un article traite des ‘Nouvelles approches thérapeutiques dans la schizophrénie’. Les auteurs se proposent de combiner approche psychopharmacologique et « psycho-éducative ». On reconnaît dans ce dernier vocable la vague du cognitivisme actuel dont les applications sont porteuses d’une visée d’apprentissage et en révèlent la véritable inspiration. Pour avoir moi-même étudié le milieu familial des schizophrènes, je crois être en mesure d’apprécier le chapitre que les auteurs consacrent aux « données familiales » où ils retiennent (après d’autres) la valeur cardinale du concept d’ « émotions exprimées », alors qu’ils contestent le rôle de tout aspect spécifique de la personnalité des parents. La seule conclusion à tirer d’une telle étude est que parce qu’il convient mieux à la méthodologie réductionniste adoptée par les chercheurs et s’accorde avec leur refus évident d’entrer dans les complications impliquées par la référence aux mécanismes psychopathologiques invoqués par les chercheurs d’orientation psychanalytique : orientation pourtant minimale. On n’en est que plus médusé de voir les auteurs de l’article cité conclure que leur recherche fournit les garanties expérimentales des intuitions des premiers psychanalystes ( ?) sur la fragilité du moi. ‘C’est la première fois depuis longtemps que nous accédons à un corpus scientifique et expérimental de première importance capable de recadrer l’éclectisme quelque peu hirsute des données actuelles sur la schizophrénie’. (…)Disons seulement que la référence à la cybernétique et au groupe – désir de trouver un équivalent peut-être dans les sciences humaines de ce qui change le visage des mathématiques avec le concept d’ensemble – ne dispensera pas, contrairement à ce que l’on pense, d’avoir à rendre compte de la spécificité du psychisme et de la nécessité d’une conception du sujet ». Cet article dont parle A. Green n’est pas le seul à faire l’éloge (bien plus que douteuse) des approches éducationnelles, ou cognitivo-comportementales (dont d’ailleurs on a du mal à faire la différence). En effet, c’est fréquemment que dans les revues renommées de psychiatrie que nous pouvons lire de telles affirmations concernant ces nouvelles méthodes. Nous pouvons en citer quelques uns : « Le cognitivisme et la pratique psychiatrique » de G. Dacourt[10]; « Schizophrénie : Point de vue cognitif », de E. Lemonnier[11], Nous verrons cela plus en détail, après la présentation de l’atelier « connaissance la maladie, avec support vidéo ».
C. La parole « rationnelle : cause-effet-solution » à travers l’atelier dit de « soin » : « Atelier connaissance de la maladie avec support vidéo», (Ou « Vole au dessus d’un nid de conscience ! »), animé par M. F, le psychologue/psychanalyste d’orientation cognitico-comportementale !
L’atelier « Connaissance de la maladie avec support vidéo » est un atelier qui existe depuis quelques années au Foyer X. Faire voir aux patients schizophrènes un film sur la schizophrénie, est une idée de M. F., ainsi que de Mme Dubois, infirmière à temps partiel (au Foyer X). Lors des années précédentes, les séances duraient quatre heures, mais cette année les cliniciens se sont vus réduire ce temps, de peur que certains patients, comme les fois précédentes, ne recommencent à « flamber » après l’atelier. En effet, et toujours d’après M. F., lors des années précédentes, cet atelier avait été d’une telle violence, qu’un bon nombre de patients se sont vus totalement envahis d’hallucinations (auditives ou visuelles). Certains d’entre eux ont même été renvoyés d’urgence à l’hôpital psychiatrique tant leur état ne leur permettait plus de rester dans le foyer post-cure !
Comme je l’ai écrit plusieurs fois (et ce certainement volontairement), M. F. est psychologue/ psychanalyste, mais il se dit aussi d’orientation cognitivo-comportementale, (une formation qu’il aurait reçue à Ste Anne, si mes souvenirs sont exacts). Cet atelier s’inspirerait de la thérapie cognitivo-comportementale (la TCC), mais à la fois s’inscrirait dans un projet tout à fait neuf, né d’une pure création de sa part et de la part de Mme Dubois ; (il semblerait toutefois qu’il aurait entendu dire que de ce type d’ateliers étaient mis en place depuis un certain temps en Suisse et en Belgique). M.F., animerait même des séminaires (au sein de l’Institution X) où il peut mettre en valeur cette activité qui aurait, toujours selon lui, d’ « excellents résultats », car il « permettent (non pas « permettrait ») aux patients schizophrènes de sortir de leur déni de la maladie, à mieux repérer les troubles et par conséquent mieux les contrôler ».
Il parle de cet atelier avec une certitude totale : ce dernier est un « véritable apprentissage, et modification de la pensée… ». « Connaissance de la maladie » se fait sur quelques mois au rythme d’une 1h30/1h40 par semaine, (au total, il y a environ 10 séances). Sur l’année il peut décider de faire une ou deux sessions. M. F., anime l’atelier, le stagiaire psychologue (moi-même) observe (je prends des notes – j’aurais pu prendre la parole mais étant donné le choc que ces séances représenteraient pour moi, je ne disais rien), un infirmier (toujours différent de la fois précédente) regarde, impressionné par cet atelier « miraculeux »; les patients quant à eux sont au nombre de 6 ; ils ont été (très) sollicités ou même obligés à y participer. J’intègre deux séances dans leur totalité afin de pouvoir restituer le plus fidèlement possible le déroulement de l’atelier, puis n’intègrerai qu’un passage d’une autre séances afin d’éviter une restitution trop fastidieuse.
Atelier connaissance de la maladie avec support vidéo
(La vidéo est faite par le laboratoire pharmaceutique LUNBEK. J’ai appris par une étudiante lors d’une supervision à Paris 7, que ce type de vidéos sont diffusées dans les lieux psychiatriques, afin de donner des informations au personnel soignant uniquement : infirmiers etc…).
Mardi 02 Décembre 2003, 14h-15h30 (15h45)
(…) = Des paroles trop longues de la part de M. F. pour être retranscrites simultanément.
(Tous les patients sont sollicités par le psychologue à tour de rôle, et sont prévenus qu’ils auront l’obligation de parler… Les seuls patients qui prennent parfois eux-mêmes la parole sont surtout M. Thierry, parfois M. Hubeau et Melle Sharif).
1. Le psychologue demande aux patients ce qu’ils ont pensé de la séance précédente.
2. M. Thierry : Ca m’a permis de voir que j’avais une schizophrénie. On n’a pas accès à notre dossier en France…
3. Le psychologue : très bien, M. Thierry.
(Les autres n’ont rien à dire. On sent un malaise évident de leur part).
4. Le Psychologue met la suite de la vidéo :
Nous regardons des parents parler de l’état de leur enfant diagnostiqué schizophrène :
« On ne savait pas, on n’était « hors » de la maladie… On pensait que c’était un caprice… Il y avait beaucoup d’agressivité… On mettait ça sur le dos d’un surmenage… ».
5. Le psychologue repose la même question.
6. M. Thierry (il répète souvent ce qu’il voit) : Moi, je m’emportais facilement. L’entourage s’est rendu compte que j’étais malade quand j’avais vraiment déliré. Ni moi ni la famille, on n’a jamais pensé à la maladie avant. On pensait que c’était le chômage… C’est un mois à l’hôpital qui m’a fait rendre compte du fait que j’étais malade.
7. M. Kanina : J’ai rien à dire.
8. M. Caipre : Ca ne me ressemble pas…
9. Le Psychologue : Et pourtant vous étiez à l’hôpital (…) Il y a eu la police (…) M. Caipre….
10. M. Caipre : Non !
11. M. Hubeau : Moi je me suis rendu compte assez vite que quelque chose n’allait pas. J’avais agressé une femme, et j’ai demandé pardon. Elle a appelé la police et je suis resté là… La police m’a conduit à l’hôpital. J’ai pris la femme pour une sorcière. C’était Véronique Samson qui s’était déguisée. Je lui ai mis une claque. Ca m’a pris d’un coup, j’avais pris de l’alcool aussi. C’est grâce aux policiers que je me suis trouvé à l’hôpital.
12. Le psychologue pose d’innombrable questions (il m’est impossible de les noter, il parle très vite, les phrases sont étonnamment longues)… Il dit quelque chose comme : je ne sais pas si je pose trop de questions là… C’est pas de ma faute, vous êtes si passionnants !
13. Melle Sharif : J’ai pris conscience de ma maladie quand j’ai vu des gens en blanc. De moi-même j’aurais été incapable… Je fumais du shit. Je m’estime normale quand même. Et je crois à la guérison. Il y avait des choses dans le monde qui n’allaient pas et qui me persécutaient.
14. M. Benoît : C’est petit à petit que je me rendais compte que quelque chose n’allait pas. Dans un an ou deux dans l’ancien foyer je lui (le psychiatre) ai demandé ce que j’avais mais je ne savais pas nommer ma maladie. Je pensais, et surtout en fonction de ma famille, j’avais beaucoup d’agressivité…
15. Le psychologue : Parlez plus fort (Le psychologue demandera souvent aux participants de parler plus fort parce qu’il enregistre les séances, - il a même l’intention de les filmer).
16. M. Benoît (en parlant plus fort): Une demi-heure après mes colères je me demandais ce que je faisais. Je suis normalement calme. Ca m’inquiétait et ça m’effrayait. Soit je me refermais, soit je voulais savoir…
17. Melle Sharif : Je veux dire quelque chose, je voulais comprendre par moi-même, trouver les réponses en moi, en restant dans mon lit !...
18. M. Hubeau : Moi, la vidéo, ça me fait rappeler mon passé, aujourd’hui je suis plutôt bien, mais j’ai peur de rechuter.
19. Le psychologue met la suite de la vidéo.
Le patient schizophrène et le psychiatre (tous les deux sont des acteurs cette fois) sont en entretien. Le patient ressemble à un cadavre vivant, et le psychiatre est une très jolie femme blonde. Elle lui dit ô combien la coopération du patient est essentielle pour le traitement de la schizophrénie. Elle parle beaucoup des médicaments. C’est un discours très pédagogue.
20. Le psychologue : Alors sur ce qui vient d’être dit : les effets régressent avec le traitement (…) La crainte de sortir et à la fois l’envie de rester (…) et la fatigue (…) ?
21. M. Thierry : J’étais dans le même cas qu’elle, j’étais très fatiguée. J’avais peur et à la fois envie de partir de l’hôpital. (M. Thierry répète encore ce qui vient d’être dit dans la vidéo).
22. Le psychologue : Très bien M. Thierry, vous avez très bien compris le but de l’atelier !
23. M. Kanina : J’écoute mais je ne peux pas vous donner de réponse…
24. Le psychologue fait un long discours sur les bénéfices à parler dans un groupe. Il ajoute qu’il arrivera à parler devant tout le monde très bientôt.
25. M. Caipre : Moi j’avais peur qu’en sortant je sois déstabilisé. A l’hôpital je me sentais protégé, et en même temps je voulais sortir.
26. PENDANT LA PAUSE :
Les langues de délient et les patients me disent : « on a peur de se dévoiler », « il y a plein de trucs qu’on ne peut pas dire… », « moi, ça me ressemble pas » .
Le psychologue arrive et écoute d’une oreille et empêche toute discussion : « Allez ! à partir d’aujourd’hui, pendant la pause on ne parle pas de l’atelier ! ».
REPRISE DE L’ATELIER
27. M. Hubeau : Les troubles c’est quelque chose de personnel. Après avoir parlé comme ça, je me dis que peut-être que je me suis trop dévoilé. Est-ce que je n’aurais pas mieux fait de me taire ?
28. Le psychologue reprend très vite pour le contredire : Non pas du tout ! C’est une activité de soin ! et non de loisir ! Tout ce qui est dit là reste secret et votre histoire permet à l’autre de prendre conscience de quelque chose (…). C’est mis en parallèle (…) Vous passez par le même mécanisme, vous ne dévoilez rien ! C’est le contenu de tous les patients… Vous ne dévoilez rien en fait !(...).
29. M. Hubeau : Alors à quoi ça sert ? Si c’est le même mécanisme !
30. Le psychologue : Enfin pas exactement le même (…).
31. Melle Sharif : On a des troubles mais je ne sais pas le nom que ça porte, et c’est quoi le mécanisme ?
(Généralement les patients oublient le mot « schizophrénie »).
32. Le psychologue : Ce trouble c’est un état mental où il y a confusion mentale, vous n’êtes pas condamnable…
33. M. Hubeau : Vous savez ce que Bertrand Canta avait fait à Marie Trintignant. C’est condamnable.
34. Le psychologue : Oui, l’acte en lui-même est condamnable, on ne peut pas le laisser faire, mais vous n’étiez pas condamnable pour ce que vous aviez fait (…). Il y avait une confusion, je ne veux pas mettre de nom dessus, ici il ne s’agit pas de poser un diagnostic, vous pouvez voir le médecin pour cela, ici on ne parle que de troubles (…).
36. M. Hubeau : Il y a la famille, et on se pose beaucoup de questions sur la famille.
Le psychologue : On reviendra une autre fois sur la famille, aujourd’hui on parle uniquement des troubles.
Le psychologue met la suite de la vidéo :
On y parle de stress, d’adaptabilité, de l’environnement, et encore de médicaments…
37. M. Hubeau : Moi je me sens tout à fait prêt à affronter la vie normale, des fois j’ai envie de tout plaquer, mais je sais que je retomberai dans l’alcool, le shit. Mais ça fait 6 ans que je suis en train de me faire soigner, mais…
38. Le psychologue ignore souvent ce qui ne s’intègre pas dans son schéma de pensée, il revient constamment aux troubles : (…) Comment repérer la perversité des troubles …
39. Melle Sharif : Ah oui ! Ils sont pervers !
40. Le psychologue met la suite de la vidéo.
Le psychiatre dit à la patiente qu’il n’y a qu’elle (la patiente) qui peut dire quand elle se sent prête à sortir ou pas, mais même quand elle se sentira bien il faudra continuer le traitement…
41. Le psychologue reprend : Souvent vous êtes passifs (…), plutôt que de dire : moi je me sens comme si (…), il faut essayer de changer (…), à dépasser cet état qui vous met (…) et pouvoir accéder (…), il faut faire l’effort, et c’est tout à fait possible (…).
42. M. Hubeau : C’est vrai que des fois on s’engage à faire quelque chose et qu’après on laisse tomber.
43. Le psychologue : Oui, très bien. Est-ce que c’est quelque chose qui fait que vous arrivez à penser cela (…) ?
44. M. Hubeau : Je n’ai pas été jusque là.
45. Le psychologue : Voilà, eh bien, il faudrait pouvoir faire des rapprochements, qu’est-ce qui fait que (…). C’est vrai qu’il n’y a les médicaments, mais il n’y a pas que ça qui fait qu’on se sent épuisé (…).
46. M. Hubeau : Mais je ne sais pas si je peux dire ça devant tout le monde ! Moi je n’arrive pas à mettre ça sur le dos de la maladie, mais c’est une sorcellerie.
47. M. Caipre se met à rire, M. Hubeau est mal à l’aise.
48. Le psychologue dit que ce n’est pas ça, et penser cela c’est aussi un des troubles de sa maladie, et qu’il leur apprendra justement à s’en débarrasser.
49. Melle Sharif : Moi c’est le planning qui me lasse, on nous sollicite de partout, moi je trouve que ça, ce n’est pas la vraie vie. On nous demande d’aller à l’atelier thérapeutique etc… Moi je veux la vraie vie. Il y a ici vraiment beaucoup de lassitude.
50. Le psychologue : Comment trouver les moyens de la dépasser cette passivité, on va petit à petit apprendre cela, apprendre à la maîtriser (… Et puis la sollicitation est très importante pour vous (…). On ne touche pas à votre vie privée (…).
51. Melle Sharif répète ce que le psychologue dit : Ici on ne touche pas à notre vie privée, mais à la maladie, comme un chirurgien…
52. Le psychologue : Très bien Melle Sharif, très bon exemple, je vous en félicite ! Vous commencez à comprendre le but de cet atelier, très très bien. Eh bien pour ceux qui n’ont rien dit, réfléchissez pour la prochaine, parce que vous serez obligés de parler ! Alors « boostez-vous » un peu. C’est pour votre bien ! N’est-ce pas M. Caipre ? Et M. Kanina ?... Il va falloir vous mettre au travail !
Mardi 23 décembre 2003
Le psychologue informe que Mme Dubois voulait qu’on filme les séances : «On filmera quand elle sera là, ce sera sympa ! ».
53. Le psychologue commence l’atelier : « Aujourd’hui il faut faire parler ceux qui n’ont pas parlé, ou pas assez. Vous allez le dire à votre façon, et on s’en fiche de la façon dont vous allez le dire. Ce qui est le plus important c’est ce que vous avez senti, ce qui vous a choqué, ce que vous avez vécu (…). Qui veut commencer ? Vous ? (en s’adressant à M. Thierry), ah vous être un téméraire !
54. M. Thierry : La maladie fatigue d’une façon anormale et quand on est l’hôpital on a peur de revenir à des choses ordinaires, je voulais aussi dire quelque chose d’autre, mais je ne sais plus. (M. Thierry répète encore ce qu’il a vu dans le film, et est félicité par M. F.).
56. Le psychologue : Ce n’est pas grave, mais par rapport à ce que vous avez dit (…)
57. M. Thierry : Les médicaments sont des béquilles vous nous avez dit, sinon ça m’a éclairci.
58. M. Caipre : Je ne sais pas quoi vous dire, rien de négatif dans le film, tout est positif !
59. Le psychologue : Mais dîtes quelque chose ! (…) Bon vous allez parler après ! Écoutez !
60. M. Hubeau : Par rapport à avant, je me sens mieux, c’est du passé tout ça pour moi. J’ai retrouvé dans le film les symptômes du passé, pas de maintenant !
61. Le psychologue : Par rapport aux interventions, y a-t-il des points qui vous ont éclaircis ?
62. M. Hubeau : Eclairci non. Mais encourageant dans le sens où on pouvait s’en sortir ?
63. S’il le faut, le psychologue répète plusieurs la question tant qu’il n’a pas la réponse qu’il attend de la part d’au moins un patient : La manière dont vous le vivez ?... Ca vous a encouragé ? Éclaircis ?
64. M. Hubeau : J’ai vu mon médecin de secteur et lui ai parlé de l’atelier et il m’a dit que peut-être ça allait m’aider ?
65. Le psychologue : Je suis tout à fait d’accord avec lui !
66. Melle Sharif : Quand on est en post-cure, je veux savoir comment juguler avec la maladie ?
67. Le psychologue : C’est une activité qui se fait en deux temps : Les troubles et quels sont les outils pour atténuer les effets voire les bloquer ! On apprend à contrôler les hallucinations (…)
68. Melle Sharif : Le fait qu’on soit en psychiatrie, on est pas là pour les vacances, mes pour être encadré, une structure qui nous renvoie à notre structure à l’intérieur ?... Non c’est pas ça ?...
69. Le psychologue : C’est tout à fait ce qu’il fallait entendre, c’est très bien !
70. M. Benoît : Quand je suis rentré en psychiatrie, je suis venu pour me stabiliser, et avec mon psychiatre on a essayé de comprendre certaines choses, à prévenir certaines crises, prendre du recul envers ma maladie et d’en vivre avec.
71. Le psychologue : Oui, mais cette activité ? Qu’est-ce qu’elle vous a appris ? Et les interventions que j’ai faites moi-même ?
72. M. Benoît : Ca m’a fait penser à certains moments de crises.
73. Le psychologue : quand ?
74. Benoît : Ma dernière hospitalisation, je n’arrivais à rien cerner. J’avais failli faire du mal à ma mère.
75. Le psychologue : Et quel lien avez-vous pu faire avec le film ?
76. Benoît : (pas de réponse).
77. Le psychologue : Je vous bouscule un peu, je ne suis pas sûr qu’on ait été assez clair avec cela. Je réarticule les questions pour que vous en compreniez le sens, et on va revenir à M. Caipre qui a eu le temps de réfléchir !
78. M. Caipre : Mais posez moi une question…
79. Le psychologue : Non !
80. M. Caipre : Je ne sais pas ! (D’un ton enfantin).
81. Le psychologue : Vous avez des consignes de bases de vous investir ! Alors faîtes le !
82. M. Caipre : Je ne sais pas…
83. Le psychologue : Réfléchissez et je vous interroge après.
84. M. Thierry : La maladie ce n’est pas une grippe, c’est pas du jour au lendemain qu’elle peut guérir.
85. Le psychologue : Très bien !
Par rapport à la guérison, c’est multiforme comme thème (…) La guérison c’est de dépasser les troubles et ne pas se laisser envahir par eux, et être comme tout le monde, mais cela ne veut pas dire que la maladie aura tout à fait disparu. Si vous êtes le producteur de la maladie, vous pouvez en être le dompteur (…). Vous comprendrez le mécanisme et vous serez moins angoissé. Quand vous parlez de guérison, en fait vous êtes là pour être soigné, l’illusion de guérison est un idéal, peut-être que les troubles seront tout à fait disparus mais (…), tout cela ne retire rien au travail que vous pouvez faire. M. Caipre, vous avez eu le temps d’écouter, et vous savez je suis un tenace qui ne lâche pas !
86. M. Caipre : ah la la ! (Il ne répond rien).
87. Le psychologue : La dernière fois, vous avez parlé de la Guadeloupe, et quand vous êtes venu en France puis il y eu une hospitalisation (…).
88. M. Caipre ne répond pas.
89. Le Psychologue : Vous n’y arrivez pas aujourd’hui.
(S’adressant alors à tous les patients) : Je vais vous faire une petite proposition. Je vais faire passer la fin du film, et on en reparle. Je vous ferai passer l’intégralité après cela, et c’est vous qui me demanderez de l’arrêter là où vous vous voudrez. Vous voulez ?
90. M. Hubeau : J’ai une question. Est-ce qu’un psychiatre peut prendre conscience de l’ésotérisme, et peut donner un autre terme à la maladie ? ou est-ce un délire ?...
Le psychologue : (…)
91. M. Hubeau : Oui mais si on reste persuadé que c’est l’ésotérisme, la foi ! On peut dire Jésus, ou on peut parler de l’Islam…
92. Le psychologue : On le prend en compte si vous avez un thème mésséanique, on ne doute pas, je le crois, car ce qu’il me dit est vrai (…) C’est la conséquence de ses troubles…
Dans ma position extérieure, je ne vois pas cela, je suis moins sensible à cela parce que je ne suis pas porteur de ce symptôme comme vous en êtes porteur. C’est difficile pour le patient de croire cela. C’est pour ça je vous dit qu’il faut désarticuler l’état dans lequel vous êtes. Vous avez une croyance religieuse ?
93. M. Hubeau : … Moi personnellement je suis dans le doute par rapport à ce que vous dîtes..
94. Le psychologue : Il y a la persistance du doute malgré la confiance que vous avez envers le psy.
95. Melle Sharif : C’est tout à fait ça. Il y a environ 10 ans que je suis en psychiatrie, je me crée un délire et je n’en parlais pas, car sinon on n’allait pas me croire. Je m’accroche au délire, la maladie c’est moi, si je le dis, ça va mettre en péril ma vie d’en parler avec les autres, c’est se mettre à nu…
96. M. Hubeau : Je ne peux pas dire ce que je ressens.
97. M. Thierry : Je vais vous donner une exemple, à l’hôpital de S. Il y a avait un patient qui croyait qu’on pouvait voler, et il s’était jeté par la fenêtre.
98. Le psychologue : Voilà ! La conviction ! Céline Sharif disait : ne pas se défaire d’un espoir auquel on s’est accroché.
99. M. Hubeau : Oui l’espoir, c’est l’espoir qu’on ne veut pas perdre.
100. Melle Sharif : Dans ma production une chose est liée à une autre, tout le monde est complice.
101. Le psychologue : Vous vous sentez persécutée ? Excusez ce terme fort.
102. Melle Sharif : Je me sens toujours en danger.
103. Le psychologue : Vous avez un contrôle sur ce monde ?
104. Melle Sharif : Un petit contrôle, mais l’angoisse revient toujours ; quand il y a angoisse c’est la confrontation au réel, et personne n’est d’accord avec moi et me déstabilise.
105. M. Benoît : Rien ne me vient.
106. Le psychologue : Forcez-vous.
107. M. Benoît ne répond rien.
108. Le psychologue : M. Caipre ! Vous avez réfléchi entre temps ?
109. M. Caipre : Mais parler de quoi ?
110. Le psychologue : De la pointure de vos chaussure !
(Rires)
111. M. Caipre : Je ne sais pas quoi vous dire !
112. Melle Sharif : La souffrance est telle que dans ma production je me dis que les psy ont mis des écouteurs, des vidéos autour de moi, et c’est une expérience qu’ils font sur moi. Ils sont tellement au courant de mon histoire et à la fois j’attends qu’ils viennent me sauver.
113. Le psychologue : A quel moment vous étiez consciente que vous étiez en train de délirer ?
114. Melle Sharif : (Silence). Quand j’ai pris conscience c’est que j’ai essayé de contrôler, et aussi de l’univers des autres.
115. Le psychologue met la suite de la vidéo en disant : M. Benoît et M. Caipre vous allez prendre la parole après s’il vous plaît!
116. M. Thierry : Mais on l’a pas vu ça.
117. Les autres : Si ! Si !... On l’a vu.
118. Melle Sharif : J’ai du mal à suivre ça ! C’est trop compliqué, au début je me retrouvais, il y avait un cadre… On ne sait plus où est la frontière entre « normal » et « anormal ». Quand on a affranchi cette frontière, on est passé de l’autre côté pour toujours.
119. Le psychologue : Non (…).
120. Melle Sharif : Je ne me retrouve plus, médecins, psychiatres etc. Sarah (l’actrice qui joue le rôle de la patiente schizophrène et dont l’apparence est celle d’un cadavre vivant) est malade, et l’apport du médecin. C’est comme un chirurgien qui introduit un outil. C’est la maladie et le soin. Voilà, on a beaucoup de rôles autour de la malade, et à la fois du médecin. On doit apporter de la maladie, comme si on était venu à former de la pathologie. Toujours cette sollicitation, il faut apporter sans arrêt son expérience.
121. Le psychologue se détourne de Melle Sharif.
En s’adressant à M. Caipre : Alors ?
122. M. Caipre ne répond pas.
123. M. Thierry (s’adressant à Melle Sharif) : J’ai pas tout compris.
124. Melle Sharif : Je parle vite.
125. M. Thierry : Je sais pas. Je ne te connais pas assez, et tes emplois de termes.
126. Melle Sharif : Quand j’ai dit que je dois apporter de la maladie. Mais je suis face à un mur maintenant, je ne sais pas. Il faut toujours apporter de la maladie. Exemple : A la compagne il y avait un chat qui avait apporté une souris à la porte pour faire plaisir. C’est pareil, il faut qu’on apporte des excréments, quelque chose de pas bien de soi !
127. Lorsque le psychologue n’ignore pas ce que le patient dit de dérangeant pour lui et son atelier, il fait semblant de prendre en compte « la question » en disant qu’il en discutera lors de la séance suivante, ce qu’il ne fait évidemment pas : On va développer dans les prochaines séances tout ça. La dépendance vis-à-vis des soignants.
128. M. Thierry : Dans le film, la mère qui veut que la fille reprenne ses études, comme ma mère qui avait appris le hongrois à 40 ans alors qu’elle avait des troubles et ça, je ne sais pas comment on peut le faire.
129. Le psychologue : (…) La phase de la souffrance est longue parfois et on ne peut pas s’investir, mais quand vous serez mieux, vous pourrez faire ce genre d’activité. La fonction de l’état est différente. Votre mère a su se défaire de ses troubles à un certain moment et a pu faire des études.
130. M. Thierry : D’accord, c’est par étape quoi.
131. Le psy met la suite de la vidéo (déjà vue) :
132. M. Thierry fait arrêter le film.
133. M. Thierry : Là elle a bien dit (Sarah) qu’elle était fatiguée par les médicaments ! Mais vous nous aviez pas dit que notre fatigue n’était pas due aux médicaments, mais la maladie elle-même ?
134. Le psychologue : On aura une séance spécialement sur les médicaments, les psychotropes etc., et sur quelle structure ils agissent. On peut dire : On a rien à faire de tout ça ! Mais je ne suis pas d’accord. Car vous comprenez dans l’importance des médicaments, et les fois où vous auriez envie de ne pas les prendre, vous y réfléchirez.
Le psychologue met la suite de la vidéo (déjà vue), et quelques minutes plus tard l’arrête de lui-même.
135. Le psychologue : J’interromps quand même. Cette décision que vous deviez prendre c’est à vous... Mais le problème de votre symptôme c’est que vous avez tendance rentrer – ce n’est pas un jugement de valeur – dans un état où on n’a plus à se soucier de soi-même. Il ne faut pas l’oublier, c’est pourquoi je voulais souligner ça. La demande de l’autre, vous pouvez la satisfaire, mais pas aux dépens de vous. Vous pouvez dire non, ne pas surévaluer la demande de l’autre car ça aussi c’est la conséquence de (…).
136. Le psychologue met la suite de la vidéo (cette fois la suite est nouvelle).
On explique que la psychose est maladie longue, et que la famille doit être présente auprès du patient dans cette démarche de soin, on ne peut pas uniquement travailler sur les symptômes, l’accent est mis sur l’environnement…
137. Le psychologue : La psychose c’est une acceptation, qu’est-ce que vous en pensez ?
138. M. Hubeau ne répond rien.
139. M. Caipre refuse de parler.
140. M. Thierry : J’ai pas compris.
141. Le psyhologue : On repasse ?
142. M. Thierry : Oui.
143. Melle Sharif : La psychose c’est une maladie longue. J’espère alors que ce n’est pas pour toujours.
144. Le psychologue : Tout à fait ! C’est très bien !
145. M. Thierry : La maladie, oui. Elle accepte la différence, et la famille doit aussi accepter la différence, voilà ce que j’ai compris.
146. Le psychologue : Mais il y a quelque chose qui bloque, alors que vous synthétisez toujours bien, mais il y a quelque chose qui fait que vous bloquez sur ce passage. Ca me fait plaisir, votre raisonnement est excellent ! Vous avez compris dès le début ! Mais c’est plus complexe que ça et on en reviendra plus particulièrement.
147. Melle Sharif : … Les autres malades peuvent s’occuper pour lutter contre leur morosité. Mais nous, on ne sait pas quoi faire.
Il est 16h30, et l’atelier s’est fait sans pause.
148. Le psychologue : Vous devenez de plus en plus intéressants, et vous êtes victimes de votre succès ! A la fin je vous ferai un résumé de ce que vous avez dit au début de l’atelier et ce que vous direz à la fin de l’atelier, et on pourra comparer (l’évolution de l’atelier).
Mardi 03 Février 2004, dernière séance
La séance de déroule en présence de Mme Dubois. Ceci est un bref passage du dernier atelier qui « ressemble » aux autres, mais où toutefois il y a une très grande volonté de la part de M. F. d’entendre que les patients sont à présent conscients de leurs troubles, sont donc ainsi sortis de leur déni, et de pouvoir conclure que l’atelier est une « immense succès ».
149. Le psychologue, commence par dire aux patients avec ton affirmatif : Vous avez bien compris l’état schizophrénique. Vous vous êtes posés beaucoup de questions. Vous avez dû poser des diagnostics. Alors aujourd’hui vous êtes capables de dire ce qu’est un trouble, comment est-ce que vous vous placez par rapport à cela, si vous vous sentez concernez ou pas (…).
150. M. Hubeau : Je lis ce que j’ai marqué ?
151. Le psychologue : Vous êtes une excellent élève !
152. M. Hubeau : Nous avons pu à travers la vidéo connaître ce qu’est la maladie psychologique. L’angoisse et la psychose. Mais je ne me souviens pas de tout. Ce que je retiens surtout c’est qu’il faut toujours prendre ses médicaments.
153. Le psychologue : C’est très bien ! Mais je voudrais faire une petite correction. Il faut que vous compreniez que les troubles ne viennent pas d’ailleurs, ils viennent de votre tête, et c’est vous qui les produisez. Et c’est vous qui pouvez les bloquer (…), c’est clair ?
154. M. Hubeau : C’est clair ! (M. Hubeau donne raison au psychologue d’une manière ironique).
155. M. Kanina : J’ai pas tout compris, les médicaments c’est bien. Mais je pense m’aider moi-même. Je suis dans une grosse déprime…
156. Le psychologue : Je fais une correction s’il vous plait (…), ce n’est pas une grosse déprime que vous avez, vous ne seriez pas ici sinon ! Faites la différence entre l’origine de votre présence ici (…) et les idées que vous avez d’une manière subjective.
157. M. Kanina : Oui c’est vrai, j’en suis conscient.
158. Le psychologue : (…) Si ce n’est pas clair M. Kanina, on peut vous réintégrer dans le deuxième groupe ?
159. M. Kanina : Non, c’est clair, j’ai compris ce qu’était un trouble, et je sais aussi comment le repérer.
(…)
160. M. Thierry : Moi je vais me contenter de ce que j’ai écrit pour aujourd’hui : La maladie mentale survient à la suite de beaucoup de stress… Elle entraîne le délire, car la vie réelle est insupportable. On prend les médicaments pour stopper ça.
161. Le psychologue : Très très bien ! très bien ! Je vous en félicite. Parfaite participation de votre part !
162. Melle Sharif : J’ai déchiré tout ce que j’avais écrit. Ca m’embrouille. C’est compliqué. Il y a d’un côté la maladie et de l’autre côté les soignant. C’est la réalité ce qu’on vit. Je ne sais pas comment vous l’expliquer, je ne sais pas, mais je veux guérir. Vous savez M. F., je ne me sens pas toujours mal. J’avais écrit mais j’ai déchiré, j’avais peur que les productions mentales me reviennent.
163. Le psychologue : Je vous avez précisé. Les troubles perfides !
(…)
164. Mme Dubois : M. Caipre, vous dîtes que vous ne vous sentez pas concerné, je suis très surprise de votre réaction.
165. M. Caipre : Ah oui, pourquoi ? (Il finit par répondre d’un ton agacé).
166. Mme Dubois : Votre incapacité de faire des choses… J’avoue que je trouve ça assez … Je suis saisie.
167. Le psychologue : Je rejoins Mme Dubois, vous savez j’ai une excellente mémoire, vous aviez dit une fois que vous étiez malade, vous avez des amnésies ?
168. M. Kanina (s’adressant à M. Caipre): Mais dis lui quelque chose !
169. M. Caipre : C’est peut-être la peur d’accepter les troubles.
170. Le psychologue : Très bien continuez !
171. M. Caipre : De les reconnaître.
172. Le psychologue : Un atelier comme celui là, ça vous donne les moyens de reconnaître les troubles ?
173. M. Caipre : Non ! (Ce « non !» sera très mal accepté).
174. Le psychologue : Répondez à la question de Mme Dubois.
175. M. Caipre : J’ai dit, mais je l’ai dit ! J’ai des troubles ! J’en suis conscient ! Ca y est !
176. Le psychologue : M. Caipre, je vous en prie, un peu de sérieux, répondez à la question de Mme Dubois.
177. M. Caipre : ah lala ! C’était quoi la question ?
178. Mme Dubois : Eh bien par exemple quand vous êtes dans votre chambre, et qu’on est obligé de vous solliciter, cette attitude correspond à quelqu’un en bonne santé ? qui va bien ?
179. M. Caipre : Oui !
180. Mme Dubois : On vous voit dans l’impossibilité de faire.
181. . Caipre : Si !
182. Mme Dubois : Toute les séances là… Je fais allusion à une séance où vous avez réussi à faire allusion à votre hospitalisation, ça va à l’encontre de ce que vous dîtes…
183. M. Caipre : Oui, avant mais plus maintenant !
184. Mme Dubois : Qu’est-ce que vous faîtes au Foyer X. ?
185. M. Caipre : Je ne sais pas ! je suis là pour m’en sortir !
186. Mme Dubois : De quoi alors ?
187. M. Caipre : Dans tous les sens du terme !
188. Mme : Dubois : Quels termes ?
189. M. Caipre : De la galère ! de la MALADIE !
190. Mme Dubois : C’est que vous avez des troubles.
191. M. Caipre : Oui ! Mais moins qu’avant ! Je ne veux pas répondre à vos questions ! c’est personnel !
192. Mme Dubois : Vous avez tort.
193. M. Caipre : C’est personnel ! Ca veut dire que c’est personnel !
194. Le psychologue : Mais là on est avec des personnes diagnostiquées avec les mêmes difficultés. Vous pouvez ne pas parler de choses personnelles, mais vous devez parler des troubles, qu’est-ce qu’un trouble ?
195. M. Caipre : Je ne sais pas !)
196. Le psychologue (d’un ton très agressif) : Bon ! M. Caipre ! Vous serez obligé de participer à la deuxième séance ! c’est tout et on ne discute pas !
197. M. Caipre : Non ! Non ! C’est pas juste, et je n’étais pas le seul à rien comprendre ! Non je n’étais le seul à ne pas parler !...
L’atelier se termine d’une manière très agressive, les autres patients ne disent rien, mais un malaise se lit sur leur visage, ils compatissent avec M. Caipre… Quant à M. F. et Mme Dubois, ils sont pleinement satisfaits de leur travail : l’atelier est un encore une fois un succès, nul doute.
La question qui me vient à l’esprit est la même que celle qui m’était venue lorsque j’avais assisté à cet atelier pour la première fois : Le psychologue/psychanalyste d’orientation cognitivo-comportementale est-il fou ? Je serai bien tentée de répondre positivement, et ainsi, d’une certaine manière, rejoindre ce que E. Zarifian dit au sujet des « psy », dans son ouvrage Des paradis plein la tête[12], : « (p180) des gens que l’on appelle les ‘psy’ et qui sont en général aussi fous que leurs malades ».
Serait-ce raisonnable d’avancer sérieusement une telle hypothèse ? Ne serait-ce pas à mon tour adopter un certain réductionnisme ? Si je pense que M. F. est fou, cela veut par conséquent dire que tous les infirmiers du Foyer X. (travaillant en psychiatrie depuis de nombreuses années), ainsi que le responsable sont tous aussi fous que lui, car ils apprécient cet atelier (auquel ils ont participé), et s’émerveillent de son « efficacité », et son « résultat ».
Bien évidemment, après avoir pris connaissance de son déroulement exact, nulle personne extérieure, ayant un minimum de connaissance en psychologie clinique, ne pourrait ne pas penser à l’ouvrage de Searles L’effort pour rendre l’autre fou[13], car nous avons bien l’impression qu’une relation « pathologique » se rejoue, cette fois-ci, non plus entre la mère et les patients, mais entre le(s) thérapeute(s) et les patients schizophrènes. J’aurais très bien pu ne travailler qu’avec ce thème principal qu’est : « L’effort pour rendre l’autre fou », mais j’estimais (peut-être ai-je tort) que quelque chose d’autre d’important, à côté de cela, était en
jeu, et autour du quel je ne pouvais pas fermer les yeux pour « faciliter » ce travail. Ceci étant dit, il me paraît impossible de ne pas évoquer Searles dans la suite de mon mémoire, car rappelons que la « rationalité instrumentale » se manifeste pour des raisons conscientes et inconscientes.
Pourquoi donc éprouver la nécessité d’axer cette étude de la parole autour de la « rationalité instrumentale ? ».
Ici, l’atelier (tout comme le foyer post-cure en général) a un projet calculé qu’il veut atteindre (de force ou par manipulation), autrement dit le résultat est exigé (à l’avance assuré) de la part du corps soignant ; dans ce « calcul », l’Autre n’existe pas en tant que tel, il est ce que le corps soignant exige qu’il soit, il est écrasé par le désir aveugle d’une ambition, d’une pensée qui « rêve » d’une « normalité », d’une « raison pour tous », d’une société où le fou « se doit être socialement inséré (comme tous, et pas autrement)», et de surcroît capable d’être critique envers ses troubles (il y a dans cette « attente », quelque chose de très paradoxale, voire clivé…). Le résultat de ce nouveau rapport au psychotique se veut être une démonstration d’une méthode thérapeutique à succès.
Le travail de M. F. sera présenté lors des séminaires de l’insitution X, il pourra à son gré valoriser son idée/travail, et peut-être le faire divulguer dans d’autres lieux psychiatriques… La parole « rationnelle : cause-effet-solution » est le seul instrument utilisé par ce dernier pour donner des réponses à tout symptôme, et de rendre, soi-disant, les choses « simples », « logiques », « normales », et « faciles »… (Je pense même que l’on pourrait dire : « parole rationnelle : effet-solution »). Comme je l’ai dit plus haut, ce mode de travail est accepté par le corps soignant dans son entier, personne n’est choqué, au contraire l’atelier impressionne, les infirmiers s’inspirent même de ce type de « rapport de force » pour faire « marcher » leur atelier (comme nous le verrons dans « prendre soin de soi »). Le résultat par conséquent est le suivant : Tout ce que l’on fait au Foyer X fonctionne, preuve à l’appui : les mots mêmes des patients !
La parole instrumentale du psychologue tout comme ceux des infirmiers est en même temps utilisée comme modalité de contrôle de la folie, plus précisément de la réalité psychique du psychotique (l’inquiétante altérité de l’Autre/fou). Les thérapeutes n’ont plus à concilier l’inconciliable puisqu’une dimension de la contradiction est supprimée. L’objectif de cette parole récurrente du soignant adressée au patient est volontairement restrictif, pour une très grande part consciemment (d’où mon refus d’avancer ce travail en disant que cette relation « étrange » certes, n’a que des motifs inconscients). Je vois là plus un phénomène de société qui touche diverses disciplines. Je souligne ici à quel point la « rationalité instrumentale » est un déni de la réalité psychique, et une fuite vers la réalité extérieure (en l’occurrence la réalité conventionnelle, la « normalité » : le désire de voir le « fou » (re)devenir normal, conscient de ses troubles…). La rationalité instrumentale s’accompagne donc toujours d’un rapport omnipotent à la réalité. Elle est un mode de « pensée logique » qui permet la connaissance de l’objet qu’elle se donne, qui ne devrait pas être attachée par la subjectivité ou démentie par des faits occurrents. Ce qui est essentiel c’est la totale maîtrise des choses et des idées par la pensée (et la parole !). Avec la rationalité instrumentale, ce qui est jugé efficace devient vrai, autrement dit nous avons affaire à un déplacement de la vérité vers l’efficacité. Le but est d’avoir directement des solutions opérationnelles, sans perdre de temps. On y repère une désimplication marquée du sujet par rapport à son « objet ». Elle suppose l’acquisition d’une connaissance des faits en soi et d’une réalité des résultats qui ne peuvent être contestés parce qu’ils sont à l’avance « assurés », (F. Guist-Desprairies, 1997)[14]. Avec ce mode de pensée, ce que l’on vise c’est la nature du problème à résoudre et des solutions dites adéquates à ce problème. L’atteinte des objectifs donnés est primordiale, plus exactement, elle est la seule préoccupation. C’est dans une « perspective technicienne » que les intentions et les stratégies d’actions sont appréhendées. Tout est question de formalisation et d’outils. L’organisation devient un objet au service de la « rationalité instrumentale ». La temporalité est celle du présent, tandis que l’avenir est une amplification du présent ! (J., Barus-Michel, 1997)[15]. La « rationalité instrumentale » amène le sujet qui l’utilise à deux paradoxes qui sont les suivants : Le premier est que la pensée a une grande difficulté à se penser elle-même (or comme nous dit Freud, pour penser, il faut accepter le déplaisir, le déplaisant, le désagréable. Une pensée qui ne penserait pas le déplaisant, ce n’est pas une pensée… Pour penser, il faut accueillir dans l’esprit, les pensées qui nous dérangent), le deuxième est que cette pensée instrumentale (à travers ce discours instrumental, pragmatique…) se réfère à des interlocuteurs qu’elle situe d’une manière abstraite. Autrement dit, l’autre n’existe pas; dans notre cas, le psychotique n’est que rouage de la logique : (cause)-effet-solution. Dans sa tendance à l’omnipotence, elle aboutit au déni de la réalité de la situation psychique de ces patients, de tout ce qui n’est pas « rationnel » à ses yeux : autrement dit la folie, et l’ « irrationnelle » réalité psychique du patient…
Revoyons de plus près les paroles de M. F adressées psychotiques ; ces paroles qu’on peut désormais se permettre de qualifier « instrumentales » tant leur ressemblance avec le phénomène de la « rationalité instrumentale » est frappante :
50. Comment trouver les moyens de la dépasser cette passivité, on va petit à petit apprendre cela, apprendre à la maîtriser (…).
67. C’est une activité qui se fait en deux temps : Les troubles et quels sont les outils pour atténuer les effets voire les bloquer ! On apprend à contrôler les hallucinations (…)
85. Par rapport à la guérison, c’est multiforme comme thème (…) La guérison c’est de dépasser les troubles et ne pas se laisser envahir par eux, et être comme tout le monde, mais cela ne veut pas dire que la maladie aura tout à fait disparu. Si vous êtes le producteur de la maladie, vous pouvez en être le dompteur (…). Vous comprendrez le mécanisme et vous serez moins angoissé.
153. Il faut que vous compreniez que les troubles ne viennent pas d’ailleurs, ils viennent de votre tête, et c’est vous qui les produisez. Et c’est vous qui pouvez les bloquer (…). Etc.
Quelles sont les autres raisons qui m’ont fait penser à la « rationalité instrumentale » ? C’est parce que cette parole m’a aussi souvent donné l’impression de « me brouiller l’esprit », j’ai souvent eu l’impression d’avoir eu à faire à une sorte de « jeu trompeur »… Et il faut savoir que la rationalité instrumentale renoue, en réalité, avec de très anciennes formes de pensée, nous pouvons le repérer ce trait à travers les exemples cliniques. A. Lévy[16] dit à ce sujet : « (p76) (de très anciennes formes de pensée), qui ont chacune leur légitimité : celle de la métis, autrement dit de l’intelligence retorse, de la ruse, de l’habilité, de l’astuce, de la tromperie. Mais elle rappelle aussi, par sa recherche de l’efficacité avant tout, celle des sophistes, pour lesquels la recherche de la vérité désintéressée n’a pas de sens, et pour qui le seul discours vrai est celui qui est efficace, utile à celui qui veut gagner des foules, entraîner leur conviction (comme une certaine psychologie qui affirme aujourd’hui qu’une théorie ‘vraie’ est une théorie qui ‘marche’) ». Revenons justement à cette psychologie en question : la psychologie cognitivo-comportementale que nous avons déjà évoquée plus haut, et dont le soi-disant « succès » dans le domaine de la psychiatrie est bien inquiétant qu’autre chose…
Gardons tout d’abord en mémoire que « la médication de l’existence » est intimement liée à ce mode de pensée « cause-effet-solution » ; Jean Charles Pascal et Thierry Trémine[17], écrivent la chose suivante dans « La question des neurosciences posée aux psychiatres » : « Avons-nous perdu notre liberté devant ces phénomènes, ces tautologies provisoires où l’efficacité du médicament définit le symptôme et, réciproquement, le symptôme justifie la prescription. Une pilule pour chaque syndrome, un syndrome pour chaque pilule ; l’hypothèse de rechercher ou le modèle à la mode soutenant le tout ? De fait, nous essayons de nous débrouiller dans l’acte clinique par ce que Bourdieu appelait une théorie de l’échange pratique, en nous méfiant de prendre le modèle de la réalité pour la réalité du modèle. Ou encore, comme le disait Marx, ‘les choses de la logique pour la logique des choses’ ». Nous retrouvons là ce qui est longuement écrit autour de la « médicalisation de l’existence » (E. Zarifian), et qui après tout semble lui aussi avoir un lien étroit avec la « rationalité instrumentale » dans notre discipline. Il me semble de plus en plus évident que de la parole du thérapeute a adopté le même fonctionnement : on ne parle pas avec le patient psychotique, on évite le vrai rapport lui, on ne sait plus ce qu’est l’espace traditionnel, mais on « administre » un(e) tel médicament/ou telle parole en fonction d’un(e) tel symptôme/telle parole du patient… Tout est organisé d’avance, même le résultat. A ce sujet, et tout particulièrement au regard de l’atelier « connaissance de la maladie, avec support vidéo », il est intéressant de restituer dans ce travail, un passage, certes long mais très pertinent de « Le ‘paradigme cognitif’ ou la suprématie de l’homo animalis en psychiatrie », article écrit par Olivier Labergère[18]. En effet, l’auteur nous rapporte des faits presque similaires à ce qui se déroule dans l’atelier de M. F., et nous retrace ce type de rapport instrumental « cause-effet-solution » (même s’il s’agit là de neurosciences cognitives – et non de psychologie cognitivo-comportementale-)[19] . Il écrit : « (p565-566) ‘De Bleuler au chimpanzé’ : La relecture clinique du concept de dissociation mentale, rebaptisé ‘désorganisation’ – cédant déjà ici sur le mot – constitue la clé voûte du dispositif. Cette révision doit satisfaire à la double axiomatique de l’approche cognitive (…). Point n’est besoin de souligner ici combien cette conception est réductrice, et méconnaît ouvertement toute ‘vexation’ freudienne, au profit d’un idéal d’harmonie adaptative (…). La schizophrénie souffrirait d’un déficit de la ‘théorie de l’esprit’ c'est-à-dire d’une atteinte de la ‘capacité à attribuer à autrui des états mentaux’, à laquelle l’équipe de Versailles a associé une défaillance du traitement contextuel de l’information (…). Qu’il suffise seulement de restituer cet épiphénomène de l’attribution intentionnelle à autrui ( dût-il être un bon psychiatre évaluateur !), dans la problématique schizophrénique plus large de l’appropriation même de ses pensées par le patient (qu’on l’appelle ‘pensées oniriques’ avec Bleuler, ‘automatisme mental’ avec Clérambault, ‘écran béta’ avec Bion, ou encore intrusion de l’Autre symbolique avec Lacan), pour ravaler ce gadget épistémologique de la ‘théorie de l’esprit’ ) sa seule fonction instrumentale. Cette clinique cognitive sereinement anémiée, inféodée aux exigences d’objectivation expérimentale et d’opérationnalisation, ne nous semble pas loin de ‘la clinique du médicament’ du DSM, dont Paul Laurent Assoun a livré une virulente critique, dénonçant le primat de la ‘méthode’ sur la ‘doctrine’, et l’ ‘aclinisme’ résultant de ‘l’athéorisme terroriste’ (…). Mais au reste, quelle est donc l’origine de cette emphatique ‘théorie de l’esprit’ ? La question est bien sûr malicieuse car, au-delà des références aux travaux de Frith, qui postule l’atteinte ‘princeps’ chez les schizophrènes de cette compétence cognitive, considérée comme innée chez l’enfant par Leslie, cette origine est soigneusement dissimulée dans les publications françaises de référence qu’il nous a été possible de lire. C’est dans un ouvrage édité par un laboratoire pharmaceutique, qu’un collaborateur de l’équipe versaillaise dévoile l’horizon peu avouable de cette ‘théorie’. Pourtant bien plus sûre que l’alibi bleulérien, la paternité légitime en revient à deux primatologues, Premack et Woodruff dans un article de 1978 : ‘does the chimpanzee have a theory of mind ?’. Au terme d’expérimentation destinées à montrer l’ « inférence d’états mentaux’ chez un chimpanzé, la conclusion des auteurs ouvrait déjà une brèche déterminant, en soulevant l’hypothèse d’une ‘déficience de cette construction théorique chez l’enfant retardé’. Force est de constater que cette singerie, depuis lors (nous reprenons les termes de Sarfati) ‘a connu un succès incroyable’ (…) ».
L’auteur continue par un sous chapitre « du paradigme animal au dressage cognitif », où nous allons avoir qu’il serait tout à fait possible de le recopier simplement pour l’atelier « connaissance de la maladie », et ce, en ne changeant que quelques mots. « (p566) L’examen, quant à lui, du volet thérapeutique de la démarche cognitive dans la schizophrénie n’est pas sans nous réserver d’autres surprises. Son abord est placé sous le signe du paradoxe, puisque, alors qu’est affirmé sur un mode incantatoire qu’ ‘il est essentiel de souligner qu’il n’existe pas, à ce jour, de retombées pratiques directes aux neurosciences cognitives’, sont proposées aux patients schizophrènes, notamment dans un article intitulé de façon probante ‘Cognition : de la théorie de l’esprit à la réinsertion, de nouvelles stratégies de soins par la normalisation des anomalies cognitives’. Mais la dénégation confine à la tartufferie quand est prétendu de l’approche cognitive que ‘En réalité, elle n’a pas plus de lien avec les thérapies cognitivo-comportementales qu’avec la psychanalyse’ ! Car c’est bien avec la volonté affichée ‘d’éviter de biais possible dû aux troubles du langage et le biais intersubjectif inhérent à l’échange verbal’, qu’à été mise au point, pour les schizophrènes déficients en ‘théorie de l’esprit’, une technique de réhabilitation neurocognitive. ‘Fondée sur les lois de l’apprentissage’, elle consiste en un entraînement du patient à des tâches de complètement d’histoires, à partir de courts extraits de films vidéo et de bandes dessinées. Bannissant donc la parole au profit de QCM, les procédures, plus éthologiques qu’infantilisantes, qu’il nous a été donné de découvrir dans un atelier consacré aux travaux de l’équipe de Versailles, lors d’un récent symposium sur les psychoses, ne nous paraissent rien avoir à envier au protocole originel de Premack, destiné à nos cousins sans langage. La lecture de l’article séminal de 1978 confronte en effet, non sans un certain malaise, à la description des mêmes tâches muettes de ‘résolution de problèmes’, appuyées sur des séquences vidéos et des choix de photographie. Mais alors qu’en bonne réponse, le chimpanzé Sarah était gratifié d’un yaourt et d’un ‘Good Sarah, that’s right’, il ne nous a pas été précisé ce qui était prévu pour encourager le schizophrène ‘cognitivement correct’… ». (Nous pourrions peut-être répondre à cette question ?...).
Il va sans dire que ce mode de pensée est fort ressemblant au celui de l’atelier décrit plus haut. La seule différence est qu’ici on bannit la parole, tandis qu’avec M. F., on l’instrumentalise, (ce qui au fond revient au même). En ce qui concerne la récompense, nous l’avons remarquée sans grande difficulté, elle est la même que celle qui est faite au chimpanzé Sarah (ironie du sort : la jeune femme qui joue le rôle de la patiente schizophrène dans la vidéo s’appelle Sarah !). Voici les quelques exemples des « récompenses –instrumentales, suis-je tentée de dire- », données au patient « cognitivement correct » :
22. Le psychologue : Très bien M. Thierry, vous avez très bien compris le but de l’atelier !
52. Le psychologue : Très bien Melle Sharif, très bon exemple, je vous en félicite ! Vous commencez à comprendre le but de cet atelier, très très bien.
69. Le psychologue : C’est tout à fait ce qu’il fallait entendre, c’est très bien !
144. Le psychologue : Tout à fait ! C’est très bien !
146. Le psychologue : (…) Ca me fait plaisir, votre raisonnement est excellent ! Vous avez compris dès le début !
148. Le psychologue : Vous devenez de plus en plus intéressants, et vous êtes victimes de votre succès !
151. Le psychologue : Vous êtes une excellent élève !
161. Le psychologue : Très très bien ! très bien ! Je vous en félicite. Parfaite participation de votre part !
170. Le psychologue : Très bien continuez !
Les études psychosociologiques ont depuis un certain nombre d’années mis l’accent sur ce phénomène qu’est la rationalité instrumentale; pour elles, c’est dans de nombreuses disciplines, y compris les sciences de l’homme comme la psychologie, l’économie (touchée en premier), que l’on fonctionne avec ce même type de raisonnement expérimental, on élabore des techniques d’intervention et d’action qui conduisent des groupes et des personnes à une instrumentalisation, déniant ainsi la réalité des processus psychiques, tout particulièrement inconscients, (André Lévy, 1997).
J’ose avancer (non sans perplexité) d’après ce travail, que c’est à partir d’une certaine forme d’« idéologie du rationnel » qui règne dans nos sociétés avancées, dîtes modernes et pragmatiques, que découle le phénomène de la « rationalité instrumentale » dans le domaine de la psychiatrie ; un phénomène qui se manifeste aujourd’hui tout aussi clairement à travers à travers la « médicalisation de la folie » que la parole du corps soignant.
Dans la suite de ce travail, il est intéressant de nous pencher à la fois vers les motivations inconscientes de la parole instrumentale, car comme je l’avais évoqué plus haut, celles-ci sont tout autant existantes.
Jean Dubost[20] met clairement l’accent sur le fait que « (p208) toute action instrumentale prend des significations qui débordent les faits auxquels elle s’applique. Toute conduite instrumentale qui se veut rationnelle est aussi habitée par des passions, par des buts inconscients… ».
Si nous nous penchons plus vers les motivations inconscientes, que pouvons-nous « déduire » à partir de ce travail autour de la parole instrumentale adressée au patient psychotique ?...
Je pense (peut-être un peu rapidement) que nous avons affaire à une sorte de confusion entre la croyance, le savoir et l’illusion, je repère également un caractère omnipotent de cette parole ; la rationalité instrumentale dans ce domaine me fait penser non seulement à la pensée magique mais aussi à la pensée opératoire, et bien évidemment le déni de l’altérité de l’autre, tout particulièrement de l’autre « fou », et donc de sa réalité psychique (délirante)… Je vais tenter de former, non sans mal, à ce que j’aimerais pouvoir évoquer dans la suite de mon travail et qui sous-tendra cette question : aurait-on affaire à un désir de meurtre inconscient du psychotique de la part du thérapeute moderne, à travers le déni de sa réalité psychique ?...
II. La parole « rationnelle : cause-effet-solution» en tant que « rationalité instrumentale » comme mécanisme de défense contre la réalité psychique (délirante) du psychotique/sujet unique de l’inconscient.
1. La rationalité instrumentale : une forme perverse de la rationalité
Il est inutile de souligner que le concept de « rationalité instrumentale » n’existe pas en psychanalyse, et que durant mon cursus universitaire en psychologie clinique à Paris 7, je n’ai jamais entendu parler de ce dernier. Or, si j’ai voulu, ou plus exactement, j’ai ressenti la nécessité de l’intégrer dans ce travail c’est parce qu’il me semble définir très justement ce que je tente de décrire et de comprendre autour de la « parole rationnelle : cause-effet-solution » de la part du corps soignant moderne, dans le domaine de la psychiatrie.
Il est essentiel de garder en mémoire que la « rationalité instrumentale » n’est pas la « rationalité ». Si nous reprenons la définition de la « rationalité » (non instrumentale) de J. Barus-Michel[21], dans « Sens ou efficience, démarche clinique et rationalité instrumentale », nous dirions qu’ « (p65) il y a deux rationalités ou deux logiques. La logique mathématique : celle qui enchaîne des éléments numériques ou symboliques selon des lois nécessaires qui assurent la cohérence déductive. La logique discursive, celle qui enchaîne ou articule des concepts, des signifiants verbaux, selon des règles prétendant lui assurer d’appréhender la chose en soi, tout en lui permettant d’en vérifier l’exactitude. S’obligeant à la cohérence, la pensée rationnelle se dégage du faux et du passionnel ». Quant au Petit Robert, il définit la rationalité sous cette forme : « Caractère de ce qui obéit aux lois de la raison, peut-être connu ou expliqué par la raison… Caractère de ce qui est raisonnable, qui semble fait avec bon sens… ».
Nous savons tous aujourd’hui que la raison est à l’origine de la science moderne, elle coïncide avec le développement de formes démocratiques d’organisation sociale ; elle est aussi à l’origine des résistances ou a parfois introduit une rupture totale avec des formes d’organisations fondées sur l’identification à un pouvoir central qu’il soit spirituel ou temporel, une rupture contre toute forme de pouvoir qui impose sa volonté au nom d’une Vérité. Elle s’est construite comme résistance aux dogmes religieux ou politiques, aux passions, aux fanatismes, aux superstitions, aux obscurantismes…
A. Lévy, dans « Retour sur la notion de la rationalité, dans la perspective des sciences cliniques », écrit à ce propos, qu’elle est (la rationalité) : « (p74) Considérée comme création historique, contingente, soumise par conséquent aux aléas de l’histoire, - et non une faculté innée, ou une réalité immédiate, éternelle, absolue, comme le voyaient les hommes du siècle des Lumières (une sorte de Divinité, la ‘déesse Raison’), - elle a pris les formes les plus diverses en fonction des langages dans lesquels elle s’exprimait, de l’évolution des connaissances et des techniques, ainsi que des formes d’organisation économique et sociale. Ainsi, de Socrate à Platon, de Descartes à Leibnitz et à Spinoza puis à Kant, Hegel, Freud, aujourd’hui Horkeimer ou Lévinas… les conceptions de la raison ont profondément évolué et ont été enrichies. Mais la faculté de juger et de penser rationnellement, de distinguer le vrai du faux, d’établir des relations entre les concepts et de les combiner de façon logique dans un discours cohérent, n’a jamais cessé d’être le projet des hommes se voulant libres et responsables de leurs pensées, de leurs discours et de leurs actes, et luttant contre les préjugés et les expérience trompeuses (l’empirisme fondé sur les sens, et ses conséquences, le pragmatisme et l’utilitarisme) ».
La « rationalité instrumentale »[22] quant à elle est une forme perverse de la rationalité. Que cela veut-il dire au juste ? Elle est une sorte de réduction de la rationalité, mais peut aussi être considérée comme une forme de sa régression. Dans nos sociétés industrialisées, ce phénomène toucherait divers domaines, et prendrait petit à petit un caractère universel. Dans l’Editorial de la Revue International de Psychosociologie[23], consacré à la « rationalité instrumentale », F. Giust-Desprairies, A. Lévy, et A. Nicolaï, écrivent à ce sujet : (p8) Ce recueil tente de prendre en compte la multi-dimensionalité du phénomène, ainsi que son caractère universel. C’est ainsi que les articles composant ce numéro représentent différents champs des sciences humaines, toutes concernées : l’économie bien entendu, mais aussi la sociologie, l’anthropologie, et la psychosociologie clinique. Par ailleurs, plusieurs parmi les auteurs, non européens, sont à même de rendre compte de situations observées dans d’autres pays et continents (Afrique, Amérique Latine, Amérique du Nord) ».
Si nous étudions la « rationalité instrumentale » du côté du conscient, nous pouvons dire que celle-ci transforme les relations et les conduites à des stratégies fondées sur le calcul et l’intérêt ; les discours et le langage sont réduits à des propositions et des schèmes argumentatifs, à des « modèles mathématiques », « pseudo-scientifiques » donnant des réponses toutes faites/stéréotypées/pragmatiques… Autrement dit nous avons à faire à une sorte de pensée-unique. Il est essentiel de garder en mémoire que ce phénomène est le contraire de la rationalité/raison/bon sens, « une telle confusion est non seulement dangereuse, dans la mesure où elle conduit à parachever la victoire de cela même que la raison combat, mais, surtout, elle est profondément erronée ». (A. Lévy, 1997)[24]. J. Dubost[25] met très bien l’accent sur le réductionnisme de ce phénomène, il écrit dans « La logique instrumentale et la question du sens » tout ce que nous pouvons également rattacher à la « parole rationnelle : cause-effet-solution » : « (p207) (…) La rationalité instrumentale prend en charge certaines catégories de problèmes qu’on pourrait schématiser en disant : un but est fixé, comment l’atteindre ? Elle ignore, elle exclut les autres catégories de problèmes comme, par exemple, ceux du genre : quels sont nos problèmes ? Quels sont nos buts ? Comment pouvons-nous développer nos capacités à identifier nos problèmes, à élucider nos buts, et notamment à progresser dans la découverte des buts non conscients qui orientent nos conduites ? ». Autrement dit, c’est un mode de pensée qui s’érige en norme de conduite, qui peut satisfaire le désir de toute-puissance, investi dans une ultra-rationalité négligeant tout ce qui ce trouve hors de son épure.
Ne puis-je pas alors me risquer de rapprocher cette approche, ce fonctionnement à ce que Freud appelle la « pensée animiste » dans Totem et Tabou ?[26]... Il écrit ceci à la page 103 : « Si nous acceptons le mode d’évolution des conceptions humaines du monde, tel qu’il a été décrit plus haut, à savoir que la phase animiste a précédé la phase religieuse qui, à son tour, a précédé la phase scientifique, il nous sera facile de suivre aussi l’évolution de la ‘toute-puissance des idées’ à travers ces phases. Dans la phase animiste, c’est à lui-même que l’homme attribue la toute-puissance ; dans la phase religieuse, il l’a cédée aux dieux, sans toutefois y renoncer sérieusement, car il s’est réservé le pouvoir d’influencer les dieux de façon à les faire agir conformément à ses désirs. Dans la conception scientifique du monde, il n’y a plus place pour la toute-puissance de l’homme, qui a reconnu sa petitesse et s’est résigné à la mort, comme il s’est soumis à toutes les autres nécessités naturelles. Mais dans la confiance en la puissance de l’esprit humain qui compte avec les lois de la réalité, on retrouve encore les traces de l’ancienne croyance à la toute-puissance ».
Afin de poursuivre mon raisonnement autour de la « parole rationnelle : cause-effet-solution » et son rapprochement étroit avec le phénomène de la « rationalité instrumentale », en m’appuyant à la fois sur mon expérience au Foyer X., je désire, présenter le cas quelques patients du Foyers X. dans la suite de ce mémoire et aborder progressivement l’aspect inconscient de ce « phénomène ».
A. La parole « rationnelle : cause-effet solution » en tant que rationalité instrumentale déniant la réalité psychique du psychotique…
« La parole comme acte technique est une parole instrumentale, écrit E. Zarifian dans La force de guérir[27] : (p10), Soigner, ce n’est pas uniquement un acte technique, c’est aussi écouter, savoir entendre la vérité de l’autre derrière les paroles et, parfois les silences qu’il énonce. La parole tisse du lien et produit du sens… Je rajouterai qu’écouter un patient psychotique c’est écouter sa réalité psychique, autrement dit sa réalité toujours colorée de thèmes délirants…
Ce travail nous amène au fond à nous poser la question autour des “réalités”. Qu’est-ce que la réalité ? Et tout particulièrement dans le domaine de la psychiatrie, peut-on faire l’économie « des réalités » qui existent, et puis des « réalités » de chacun ?...
Regardons de plus près « les réalités », il existe donc d’abord la réalité physique ou inhumaine, comme le dit François Duparc, dans « Malaise dans la réalité »[28], cette réalité physique qui est celle du « (p105) monde matériel ou biologique environnant, qui n’est pas un donné évident, puisque la perception est lieu de projections, que l’hallucination ou l’interprétation peuvent la transformer ; même pour le scientifique elle peut constituer une réalité à objectivité faible, une ‘réalité voilée’ », Puis « Il y a la réalité corporelle, somatique, l’héritage biologique, qui correspond avec le Ca le plus profond, selon Freud, et se transmet à travers des sensations et des affects, après de profondes modifications par l’appareil psychique. Et « Il y a ensuite la réalité conventionnelle, apprise par l’éducation, introjectée dans l’Idéal du Moi et le Surmoi, en tant que croyances du groupe familial, son héritage culturel ; l’histoire familiale, les expériences objectales. Complétant l’héritage proprement familial, une partie de cette réalité de convention dépend de la culture, de ce que Freud nomme le Surmoi culturel, qui vient combler les failles du Surmoi personnel d’origine familiale. Lorsque celles-ci sont importantes, le sujet particulièrement vulnérable, et disposé à considérer les idéaux culturels du groupe comme une réalité absolue. C’est le passage des idéologies, qui se font passer pour des réalités indiscutables sous la pression du lien hypnotique avec le groupe ; et nous savons que les scientifiques eux-mêmes ne sont pas à l’abri des modes, qui peuvent imposer comme réalité des visions partielles du monde. Et la réalité psychique dans tout cela ? Pour moi elle se différencie des autres par déduction, comme étant l’agent de leur composition, le lieu intermédiaire articulant dans l’inconscient l’imaginaire du désir, la réalité venue du corps, et celle reçue de l’héritage historique, affectif et culturel des objets investis par le sujet. Pauvre Moi, comme dit Freud, qui doit monter en attelage ces trois chevaux à la fois ! ». Je garde bien évidemment en mémoire que pour le patient psychotique le Moi est morcelé, ce qui amène le patient à tout particulièrement ne prendre en compte que sa réalité psychique et vivre dans le déni de la réalité extérieure, il est fort connu que c’est le fonctionnement type des psychoses… Mais ma question est la suivante : Comment peut-on appeler et comprendre un discours comme celui que nous venons de voir, adressé par le corps soignant aux patients psychotiques, qui ne tient compte que d’une seule réalité : la réalité extérieure, et je dirai même la réalité conventionnelle –du ‘dans cette société, époque, il faut, on doit pouvoir (et ceci est valable pour le psychotique !)’- ?... Ne peut-on pas penser qu’il y a ici quelque chose qui serait de l’ordre d’une idéologie ?... Que les idéaux culturels d’une société/groupe/discipline… deviennent une réalité absolue. Et qu’il y a là, en l’occurrence, une idéologie « cause-effet-(fast)solution » qui se fait passer pour une réalité indiscutable sous la pression du lien hypnotique avec la société/groupe/discipline ; où ces nouvelles approches, cette parole instrumentale s’imposent, en fait, comme une réalité des visions partielles de l’objet en question ?...
Il me semble évident que le thérapeute qui adresse la parole « rationnelle » au psychotique est dans le déni de la réalité de ce qu’est une folie, de ce que peut être et peut vivre un psychotique. F. Duparc[29] écrit à ce sujet : « (p105) En effet, il n’y a pas de moyen plus sûr de déni que de recourir à une fausse réalité, ou à une réalité partielle, fétichique, qui se fait passer pour la réalité unique. Aux deux extrêmes de cette croyance en la réalité, on rencontre les opératoires et les paranoïaques. Les deux « croient » en la réalité ; les premiers en la réalité évènementielle, factuelle (non humaine) ou conventionnelle (convenue et établie d’avance) ; les seconds en leur seule réalité psychique ou historique personnelle, avec l’incapacité d’y intégrer en vue d’un compromis ou d’un accord la réalité psychique de l’autre, voire la simple réalité matérielle ou sociale. Entre les deux se situent les pervers, souvent très « réalistes », qui utilisent la réalité factuelle ou la réalité psychique de l’autre, mais pour l’asservir, pour l’utiliser comme un lieu d’aisance pour leur propre réalité historique ou psychique en souffrance ».
C’est d’une manière sérieuse que j’évoque ici une des idéologies sociales de nos sociétés actuelles (le rationalisme et le pragmatisme aveugles) qui nous conduisent à la rationalité instrumentale, et c’est aussi ici, entre autres, qu’intervient la question de l’inconscient dans la formation de « groupe » (au sens large du terme) parfois inquiétantes, et dont Freud en parle dans « Psychologie des foules et analyse du moi »[30] (dans Essais psychanalytiques). Ce n’est d’ailleurs qu’ainsi que nous arrivons à mieux cerner les engouements sociaux actuels… A la page 138, Freud écrit : « Dans les rapports dont il a été question, aux parents et aux frères et sœurs, à la bien-aimée, à l’ami, au professeur et au médecin, l’individu ne subit jamais que l’influence d’une seule personne ou d’un très petit nombre de personnes dont chacune a acquis pour lui une importance énorme. Or on s’est habitué, quand on parle de psychologie sociale ou de psychologie des foules, à faire abstraction de ces relations et à isoler, comme objet de la recherche, l’influence exercée simultanément sur l’individu par un grand nombre de personnes avec lesquelles, il est lié de quelque manière, alors que, par ailleurs, elles peuvent bien à maints égards lui être étrangères. La psychologie des foules traite donc de l’homme isolé, en tant que membre d’une lignée, d’un peuple, d’une caste, d’une classe, d’une institution, ou en tant que partie d’un agrégat humain qui s’organise en foule pour un temps donné, dans un but déterminé. L’ensemble des relations naturelles ainsi rompu, on ne fut pas loin de considérer les phénomènes qui apparaissent dans ces conditions particulières, comme des expressions d’une pulsion particulière, irréductible à une analyse poussée, la pulsion sociale –herd instinct, group mind- qui dans d’autres situations ne se manifestent pas ».
C’est bien au niveau de l’inconscient en réalité, que nous pouvons essayer de chercher les motifs des idéologies inquiétantes qui attirent vers elles de nombreuses personnes, voire même à certains moments, tout une société… Du point de vue psychanalytique, les idéologies de ce type ne peuvent plus être cernées uniquement d’un point de vue de l’intérêt (comme c’est le cas très souvent dans les études sociologiques), mais plutôt du côté de la pulsion sexuelle et de l’identification… Ce qui forme le lien social. M. Zafiropoulos[31] cite Freud dans Les solutions sociales de l’inconscient : « p2, Elle (la masse) est conduite presque exclusivement par l’inconscient. Les impulsions auxquelles la masse obéit peuvent selon les circonstances être nobles ou cruelles, héroïques ou lâches, mais en tout cas elles sont si impérieuses que ni l’intérêt personnel, ni même l’intérêt de l’auto-conservation ne se font valoir ». Comment peut-on à notre tour comprendre ce que Freud dit ici ?... Quel nom mettre et à quoi relier cet engouement dans nos sociétés pour le fonctionnement « cause-effet-solution », cette impulsions en quelque sorte qui règnent dans l’esprit pragmatique ?... Comment comprendre le malaise que « la non-réponse », « le mystère », ou encore le « manque » suscite et qui farouchement est rejeté/dénié ?... Il faut à tout prix donner les solutions même si elles sont illusoires… Ce ne sont que des questions que je pose, d’innombrable questions face à cette parole « rationnelle : cause-effet-solution », et je ne sais pas si les bribes de réponses que je tente d’apporter sont exactes ou pas : Ne pourrait-on pas voir là un fonctionnement proche de la pensée opératoire ?... Le désir de toute-puissance ?... L’effort pour rendre l’autre fou ?... Ou encore serai-je tenter de dire, une tentative (échouée) inconsciente de réintroduire chez le patient psychotique « la parole du père » ?... Dans Totem et Tabou, Freud traite aussi la question du collectif, et M. Zafiropoulos nous dit à ce sujet que «…(p3), les solutions sociales se déclinent du point de vue freudien à partir de ce que nous appellerons la solution par le père. Y aurait-il quelque chose à associer du côté du parricide originaire (le meurtre du père de la horde) qu’évoque Freud, et dont il parle comme un vrai acte fondateur du social ; un acte refoulé et passé dans l’inconscient et dont nous gardons tous la trace, cette trace qui s’exprime de diverse manières (inventions de Totem, de Dieu (ou des dieux), ou encore des règles sociales –ces dernières qui n’échappent pas à l’inconscient névrotique-…) ?... Le désire inconscient motive le social, quel désire alors se cache derrière la parole « rationnelle : cause-effet-solution » ?... Il ne m’est bien évidemment pas possible de répondre à toutes ces questions, je vais tenter de m’intéresser à quelques aspects qui motivent inconsciemment la parole « rationnelle : cause-effet-solution », adressée au psychotique. Un des aspects qui semble êtres les plus « manifeste » c’est l’attaque, plus justement le déni contre la « réalité psychique » du « fou », une réalité plus ou moins délirante qui s’articule non seulement avec la souffrance, mais aussi la jouissance et le désir.
Qu’est-ce dont la réalité psychique ?... Pourquoi est-il important de s’attarder tout particulièrement sur cette réalité ? Commençons par nous pencher sur sa définition. Je commencerai par citer C. Le Guen qui dans son article « le principe de réalité psychique »[32] écrit que « (p9) La réalité psychique fait partie de ces notions que nous sommes venus à considérer comme allant de soi ; après tout, cette réalité-là, justifie notre travail en lui conférant une concrétude qui, sans elle, évanescerait, comme ces idées que-l’on-se-fait… Parmi tous ces mots que Freud nous a donnés, celui de « réalité psychique » nous est tellement acquis que non seulement nous n’en usons qu’assez peu, mais que nous ne considérons plus guère ce qu’il recouvre ; telle est d’ailleurs l’une des fonctions essentielles de la dénomination : elle permet de ne plus s’interroger sur ce qu’elle désigne, et donc de ne pas y penser, comme si la réalité du mot venait effacer la réalité de la chose ; un symbole est aussi fait pour cacher ce qu’il exhibe, ce qui nous offre d’intéressantes perspectives tant sur les rapports entre représentations de mots et de choses que sur la fonction langagière de l’emprise. Mais laissons cela. Donc, la réalité psychique existe puisque nous la rencontrons chaque jour… ». Or, force est de constater que cette réalité psychique ne va certainement plus de soi ; au Foyer X, elle n’existe plus ni pour les infirmiers, ni pour le psychologue/psychanalyste lui-même !
Essayons entre quelques réflexions, de donner la définition la plus précise (s’il est possible d’en donner) de la réalité psychique. Qu’est-ce que donc la réalité psychique, quelle est sa place dans le domaine psychiatrique, quelles en sont les conséquences si elle n’est pas prise en compte?...
Il faut savoir que Freud invente d’abord le terme de « réalité de penser » (Denkrealität), en 1895[33], Ce terme est encore de l’ordre d’un pressentiment, il pense, mais ne définit pas encore précisément que cette « réalité » là semble plus dominante que la « réalité extérieure ». A ce sujet, B. Lemaigre, dans « Intentionnalité, affectivité et réalité psychique »[34] dit que « (p44) La réalité-de-pensée ne coïncide pas avec la réalité psychique. Mais on pourrait dire que la réalité-de-pensée annonce le préconscient, dans la mesure où ce dernier jouera dans la métapsychologie freudienne le rôle important que l’on sait ». B. Lemaigre nous informe également que le mot « Réalité psychique » apparaît en 1909, pour la première fois, dans la deuxième édition de l’Interprétation des rêves. Il cite Freud toujours à la même page : « Lorsque l’on a ramené les vœux inconscients à leur expression ultime et la plus vraie il faut se souvenir, sans aucun doute, que la réalité psychique aussi a plus d’une forme d’existence (more than one form of existence). Et l’auteur continue à retracer l’historique ce concept : Dans l’Introduction à la psychanalyse, en 1916-1917 la thèse est mise en forme de façon plus précise et générale : il ne s’agit plus seulement du rêve, mais des fantasme (Phantasien) du patient dans la cure. ‘Le malade s’est crée de telles imaginations, et ce fait à peine moins d’importance pour sa névrose que s’il avait vécu effectivement le contenu de ces imaginations. Ces imaginations possèdent une réalité psychique qui s’oppose à la réalité matérielle, et nous apprenons peu à peu à comprendre que dans le monde de la névrose la réalité psychique est la réalité dominante (massgebende)’. A la page 49, l’auteur rajoute : « La loi de la « réalité psychique » est celle des processus primaires et elle s’impose dans la névrose et plus encore dans la psychose aux processus psychiques ayant accepté la tutelle du principe de réalité… ». Le terme de « réalité psychique » est utilisé par le psychanalyste ou le psychologue clinicien pour désigner l’expérience subjective influencée par les processus inconscients (Peter Fonagy, 1995)[35]. Il appartient au vocabulaire théorique de la psychanalyse qui, en France, est entrée dans le service public de psychiatrie avec Tosquelles (Ce dernier se basait sur la thèse de J. Lacan sur la « paranoïa d’autopunition ». Lacan dans ce travail nous invite à lire les contenus du délire comme la clef symbolique des « conflits vitaux » formant au total la cause efficiente même de la psychose… C’est ainsi que l’héritage freudien fait son apparition à travers l’étude des « tendances » psychiques du sujet psychotique par le moyen d’une « nouvelles technique psychanalytique », qui ouvre la voie pour la psychose à une « psychothérapie dirigée » (M. Zafiropoulos)[36].
Pour clarifier la définition de ce concept complexe qu’est la réalité psychique, je m’appuie également sur l’article de J. Puget[37], « La réalité psychique : son impact sur l’analyste et le patient aujourd’hui. Réalité psychique : concepts théoriques – Réalité psychique et réalités », qui écrit : « (p251) La réalité psychique s’apparente traditionnellement à une réalité singulière-fantasmatique-pensée-désirée-subjective-irréelle-hallucinée-inconnaissable-intérieure à l’appareil psychique, construite en propre par chaque psyché, et s’oppose par conséquent à la réalité commune-générale-sociale-véritable-matérielle-imposée-objective-réaliste-connaissable-extérieure, celle étant généralisable et universelle. En bref, on peut concevoir la réalité psychique comme étant le produit d’une articulation et d’une opposition entre réalité interne et réalité externe. Celles-ci se réfèrent l’une comme l’autre à des faits, évènements, états et exigences de nature différentes. Lorsque l’on fait essentiellement allusion aux sentiments, émotions, idées ou pensée, propres et singuliers, on a coutume de considérer la réalité interne comme homologue à la réalité psychique. Celle-ci semble être située spatio-temporellement dans la psyché. Par opposition, la « réalité » (externe) est située dans un espace autre, dans un dehors ; elle est accessible à un grand nombre d’individus. Par ailleurs, elle est l’origine de certains concepts, tels que, par exemple, la notion si hasardeuse, voire même dangereuse, de « sens commun » qui est parfois au service de la résistance… ».
Je voudrais à présent m’attarder sur les patients et leur réalité psychique.
Quelle est la réalité psychique de Melle Sharif par exemple ?... Bien évidemment, il ne m’est pas possible de répondre à cette question, mais je peux néanmoins avoir des éléments sur cette dernière. La réalité psychique d’un psychotique ne peut ne pas être imprégnée de thèmes délirants. (sans que cela soit forcément de grands délires). P. Aulagnier[38] (comme d’autres entre autres, par exemple S. Freud, ou encore P. Fédida) dit dans L’apprenti historien et le maître sorcier, qu’il y a un rapport entre la réalité vécu et le délire. Elle insiste sur la réalité objective des évènements de l’histoire de l’enfant, qui peuvent être la cause d’une névrose ou d’une psychose. Il y a pour elle, sans aucun doute, des causes objectives, une rencontre entre un énoncé et un fantasme identifiant… La recherche de cette réalité et la rencontre historique – l’analyste est dans ce sens l’apprenti historien – est au premier plan dans l’analyse avec des
psychotiques. Ici se pose donc la question suivante : qu’est-ce que le discours psychotique ? Comment sont vécus les mots dans la psychose ? Qu’est-ce que la « réalité psychique délirante » ?… Nous allons voir avec le cas de Melle Sharif, en premier, ô combien des éléments de sa réalité psychique imprégnée de thèmes délirants, nous apportent des « énoncés historiques » (P. Aulagnier), qui redonnent au fond vie à des moments de l’enfance réduits au silence ou « mis à mort » par le discours parental ou le propre discours, et qui sont face à la parole « rationnelle : cause-effet-solution » mis à mort pour une énième fois…
B. Le cas de Melle Céline Sharif
Melle Céline Sharif est une patiente de 32 ans, diagnostiquée schizophrène paranoïde. De mère d’origine bretonne et chinoise, et d’un père tunisien, Céline nie toute origine étrangère, et se dit française de « souche ». Jusqu’à l’âge de 4 ans, Céline vit avec sa grand-mère, c’est à cette époque que ses parents divorcent, et que son père, dentiste de profession, retourne s’installer en Tunisie. Céline rejoint sa mère, et vit avec elle pendant 4 ans. A l’âge de 8 ans, elle est envoyée en Tunisie pour vivre avec son père, qui alors que celui-ci avait fondé une nouvelle famille. De 8 à 10 ans, Céline vit avec un père « musulman fanatique qui la bat, et l’oblige à se voiler, elle est constamment surveillée, il l’aurait humiliée à chaque instant »… (selon ses propres mots). Sa belle-mère aurait participé aux sévices. Ne pouvant plus supporter de vivre chez dans cette situation, elle fugue, et se réfugie auprès de la police. Par la suite, elle est hébergée par sa tante paternelle jusqu’à ce que sa mère ne puisse la faire revenir en France sous la protection du Consulat. En France, Céline a du mal à se concentrer à l’école, elle connaît un échec scolaire rapide. Selon ses dires, la classe de seconde ne peut être suivie correctement car elle tombe amoureuse du directeur du lycée. Se sentant incapable de continuer à aller au lycée, elle suit la classe de première sous forme de cours du soir. A 16 ans, elle fugue, et commence une psychothérapie. Elle évoque des relations troubles avec des amis, et des conduites addictives très importantes (Alcool, haschisch). C’est à ce moment que Céline est envahie de bouffées de délirantes, qui la conduisent à l’hôpital …, Puis à l’hôpital de S., à 3 reprises. Depuis 4 ans, Céline est au Foyer X., elle est dite stabilisée. Elle n’a plus de conduites addictives massives, et reconnaît qu’elle est malade. Ceci étant dit, elle manque totalement de confiance en elle, elle pense n’avoir aucune qualité. Elle a peur de « rechuter », et a régulièrement la conviction qu’elle sert de « cobaye » aux soignants, qui font des recherches sur elle, elle pense même que « forts comme il sont », ils pourraient très bien lire dans ses pensées, et ont certainement mis des écouteur dans sa chambre pour la surveiller « non-stop ».
Cette patiente ne rencontre pas de difficultés avec le corps soignant, car elle fait tout ce qu’il « faut » scrupuleusement. Elle devient même la patiente « idéale » qui écoute et obéit. Elle reste mystérieuse, ne parle pas d’elle facilement, mais quand elle parle c’est sous forme d’un flot de paroles, le discours est souvent très décousu, elle passe du coq à l’âne, et n’est à ma connaissance jamais écoutée sérieusement. Souvent dans l’atelier « connaissance de la maladie », elle est félicitée pour sa participation, mais le contenu de son discours était très régulièrement dénié. M. F. après l’avoir écoutée, ne s’attarde pas sur ses dires, (sauf pour la contredire), et sollicite un autre patient, alors que ses paroles sont souvent de type interrogatives. Quant au corps infirmiers, il ne se plaint pas de cette patiente, car comme je l’ai dit plus haut, elle obéit très facilement ; elle dit souvent « oui je comprends », ou répète ce qu’il vient de dire comme on récite une leçon, et finit par dire « c’est ça ? si ? non ? ah si… je crois, oui je devine ce que vous voulez dire, je sais que vous dîtes ça pour notre bien, merci » tandis qu’elle tente d’exprimer le contraire.
Lors de l’atelier « connaissance de la maladie », elle évoque souvent des éléments de sa réalité psychique : le délire de persécution, d’être surveillée « non stop », et d’être constamment « sollicitée » pour apporter de la maladie, elle dira même sollicitée pour apporter « des excréments » pour faire plaisir au soignant, elle dit aussi quelque chose de très intéressant et sur laquelle de nombreux auteurs insistent : « la maladie c’est moi » ! , en effet, il n’y a pas de schizophrénie sans schizophrène, ce que le thérapeute moderne oublie…
Revoyons quelques paroles de cette patiente lors de cet atelier :
95. Melle Sharif : C’est tout à fait ça. Il y a environ 10 ans que je suis en psychiatrie, je me créais un délire et je n’en parlais pas, car sinon on n’allait pas me croire. Je m’accroche au délire, la maladie c’est moi, si je le dis, ça va mettre en péril ma vie d’en parler avec les autres, c’est se mettre à nu…
100. Melle Sharif : Dans ma production une chose est liée à une autre, tout le monde est complice.
102. Melle Sharif : Je me sens toujours en danger.
104. Melle Sharif : Un petit contrôle, mais l’angoisse revient toujours ; quand il y a angoisse c’est la confrontation au réel, et personne n’est d’accord avec moi et me déstabilise.
112. Melle Sharif : La souffrance est telle que dans ma production je me dis que les psy ont mis des écouteurs, des vidéos autour de moi, et c’est une expérience qu’ils font sur moi. Ils sont tellement au courant de mon histoire et à la fois j’attends qu’ils viennent me sauver.
120. Melle Sharif : Je ne me retrouve plus, médecins, psychiatres etc. Sarah (l’actrice qui joue le rôle de la patiente schizophrène et dont l’apparence est celle d’un cadavre vivant- d’ailleurs Melle Sharif dira souvent ne pas aimer cet aspect négatif de la patiente -) est malade, et l’apport du médecin. C’est comme un chirurgien qui introduit un outil. C’est la maladie et le soin. Voilà, on a beaucoup de rôles autour d’être malade, et à la fois du médecin. On doit apporter de la maladie, comme si on était venu à former de la pathologie. Toujours cette sollicitation, il faut apporter sans arrêt son expérience.
126. Melle Sharif : Quand j’ai dit que je dois apporter de la maladie. Mais je suis face à un mur maintenant, je ne sais pas. Il faut toujours apporter de la maladie. Exemple : A la compagne il y avait un chat qui avait apporté une souris à la porte pour faire plaisir. C’est pareil, il faut qu’on apporte des excréments, quelque chose de pas bien de soi !
Je rejoins P. Aulagnier lorsqu’elle dit que le délire du psychotique est très proche de ce déjà entendu, déjà vécu (c’est plus ou moins la forclusion de Lacan ?). Bien évidemment il n’y a que rarement une demande explicite de la part du patient psychotique d’être écouté, mais la question doit se poser autrement, les psychotiques ont souvent, depuis longtemps, appris à ne plus demander ! Ce qu’il faut comprendre de son discours c’est que sa réalité psychique (dont le délire) n’est pas une production morbide à éradiquer.
Lorsque Melle Sharif dit à M. F. qu’elle a l’impression d’être constamment surveillée, ne revit-elle pas un vécu traumatique persécuteur qui s’inscrit dans une réalité vécue, et qui n’a jamais été entendue, ni élaborée ?... N’y aurait-il pas un travail à faire, une écoute à donner à ce délire récurrent d’être un « cobaye » sur lequel les psy auraient le pouvoir de mettre des écouteurs sans qu’elle ne le sache ?... Cette surveillance malveillante et toute-puissante ne pourrait-elle pas être associée à la toute puissance du père qui lui a infligé des sévices et qui exigeait qu’elle soit « transparente » pour lui ? ne pourrait-elle pas être comprise comme une souffrance ancienne qu’on aurait mise à mort, une plainte qu’on aurait punie et qui ne cesse de refaire surface pour être enfin entendue, une plainte qui désire au fond rencontrer l’Autre, mais non au prix de la « transparence », rencontrer l’autre sans qu’il ait intrusion de sa part?... Ce thème délirant et récurrent n’a-t-il pas un lien avec le père « intégriste », « fanatique musulman » qui ne l’a jamais regardée autrement qu’un objet à surveiller ? Et même si tout cela était « faux », cela légitimerait-il cette volonté d’anéantir « l’irrationalité de la réalité psychique » du fou et ainsi rendre toute communication impossible ?... N’est-il pas vain dans ce cas de penser apporter quelque aide que ce soit au patient ?... En ne désignant la « réalité psychique délirante » uniquement comme un symptôme à éradiquer par l’objectivation, la parole instrumentale ne commet-elle pas un double meurtre inconscient du psychotique ? Que peut-on donc dire au sujet de la réalité psychique du patient psychotique dont le délire (au sens large : délires, idées délirantes, thèmes délirants…) en fait partie ? Dans Construction dans l’ analyse[39], rappelons que Freud écrit : « (p279-280) Ce qui importe, c’est l’affirmation que la folie non seulement procède avec méthode…, mais qu’elle contient aussi un morceau de vérité historique, ainsi, on est amené à admettre que la croyance compulsive que rencontre le délire tire sa force justement de cette source infantile (…) On renoncerait à la peine inutile de persuader le malade de la folie de son délire et de la contradiction qui l’oppose à la réalité, et on baserait plutôt le travail thérapeutique sur le fait de reconnaître avec lui le noyau de vérité contenu dans son délire. Ce travail consisterait à débarrasser le morceau de vérité historique de ses déformations et de ses appuis sur la réalité actuelle, et à le ramener au point du passé auquel il appartient (…) De même que l’effet de notre construction n’est dû au fait qu’elle nous rend un morceau perdu de l’histoire vécue, de même le délire doit sa force convaincante à la part de vérité historique qu’il met à la place de la réalité repoussée (…) De cette manière je pourrais appliquer au délire ce que, jadis, j’ai énoncé pour la seule hystérie : le malade souffre de ses réminiscence (…) Leur pouvoir provient de leur contenu de vérité historique, vérités qu’ils ont été puiser dans le refoulement de temps originaires oubliés » . De même un autre passage est important de garder en mémoire c’est lorsqu’en 1917, il écrit dans « l’Homme aux loups »[40] : « J’aimerais certes moi-même savoir si la scène primitive, dans le cas de mon patient, était un fantasme ou un évènement réel, mais eu égard à d’autres cas semblables, il faut convenir qu’il n’est au fond pas très important que cette question soit tranchée. Les scènes d’observations du coït des parents, de séduction dans l’enfance et de menace de castration, sont incontestablement un patrimoine atavique, un héritage phylogénétique, mais elles peuvent tout aussi bien constituer une acquisition de la vie individuelle ».
Autrement dit, le point de vue psychanalytique se conforme à la complexité de l’être humain, elle ne tente aucunement à le simplifier, ne cherche ni à détenir un discours « logique » et « cohérent » autour de la psyché en général, ni ne recherche une réalité révélée, et c’est peut-être bien la raison pour laquelle elle devient gênante pour « l’esprit pragmatique » d’aujourd’hui. La réalité pour la psychanalyse n’est, par conséquent, pas simple, car il existe plusieurs sortes de réalités, qui doivent tant bien que mal s’accorder les unes avec les autres. La « réalité » est une construction complexe qui fait intervenir une bonne part de réalité psychique. Et dans le cas du psychotique c’est surtout la réalité psychique qui est dominante et puissamment agissante. Ici se pose donc forcément la question de la communication avec le psychotique… Si la réalité psychique n’est pas prise en compte, j’avance sans aucun doute, que la communication est impossible ; la parole « rationnelle : cause-effet-solution » n’est vouée qu’à un l’échec, et nous ne pourrons vivre dans le déni éternellement…
La réalité psychique existe, et elle serait bien dominante comme nous l’a dit Freud. Sortons du domaine de la psychiatrie un bref instant, et voyons ensemble, ô combien, même pour le sujet « normal » cette réalité psychique est puissante.
Prenons un exemple « concret » qui ne pourrait ne pas déstabiliser les plus esprits les plus pragmatiques : C. Le Guen, dans son article « Le principe de réalité psychique » donne un exemple vertigineux « prouvant » la force de cette « réalité » (de chacun d’entre nous). Il écrit : « p10, Alors que je termine la rédaction de cet article, je tombe, dans la page économique du Monde du 13 octobre, sur le passage suivant : ‘Les marchés disposent de la possibilité incroyable de modifier la réalité par le biais de prophéties créatrices. Si tous les investisseurs ou presque considèrent en effet que le dollar va baiser et agissent en conséquence en soldant des positions, le dollar… va effectivement baisser et valider la prédiction. Une parabole célèbre prend pour exemple les tâches solaires. Si les opérateurs sont persuadés que la présence de taches à la surface du soleil influence les cours à la baisse, un tel évènement provoquera des ventes et justifiera la croyance initial’. La ‘prophétie créatrice’, nous connaissons bien, et une telle illustration de la toute-puissance du fantasme ne saurait étonner les analystes ; la réalité psychique prend effectivement ici la place de la réalité matérielle, avec les conséquences très concrètes que l’on voit ». Je désire également intégrer un autre exemple donné par F. Duparc dans « Malaise dans la réalité », afin de montrer l’importance fondamentale de la réalité psychique ; l’auteur écrit à la page 104 : La science elle-même découvre qu’à côté d’un réalisme objectif ou réalisme fort (indépendant de l’observateur) il existe des réalismes faibles, où intervient sinon la subjectivité pure, du moins l’observateur (…). C’est encore plus vrai, bien entendu, dans le domaine des sciences sociales où l’on sait que la seule façon de rédiger une enquête, ou les questions d’un sondage, va modifier non seulement le résultat attendu, mais souvent même l’évolution de l’opinion ainsi sondée au cours du temps, et donc la réalité observable : regarder un phénomène le modifie. Ainsi aux Etats-Unis, depuis que les psychiatres ont étudié les personnalités multiples, celles-ci se sont multipliées d’une façon extraordinaire ». Et je finirais par ce passage de Leo Rangell qui dans « les réalités psychanalytiques et le but de la cure analytique »[41], écrit à la page 263 : « On peut faire appel à une autre définition : ‘réel par opposition à apparent’ ; ceci s’applique aussi bien à la réalité psychique qu’à la réalité matérielle. Ou bien encore : ‘Ce qui est réel est vrai, qu’on ait affaire à des phénomènes d’ordre naturel ou bien à des faits résultant de l’action d’un être humain’. Les phénomènes psychiques répondent aux mêmes critères ; ils peuvent être réels et vrais, de même qu’ils peuvent être faux tout en étant réels, c'est-à-dire réels en tant que pensées, idées ou fantasmes, mais faux en tant que faits extérieurs. La réalité d’un fait se mesure-t-elle à l’aune de l’influence que celui-ci exerce, ce qui laisserait supposer l’existence d’un rapport de causalité entre la réalité d’un phénomène et son impact ? Le pouvoir de l’esprit peut engendrer ou bien l’allégresse ou bien la mort. Il suffit d’évoquer les figures d’Einstein, de Napoléon, de Bismarck, d’Hitler ou de Freud, et de voir quelles ont été les conséquences, pour la nature et l’être humain, de leurs productions mentales, productions qui se sont avérées aussi réelles que puissantes ».
La réalité psychique existe, et est agissante, et elle d’autant plus pour le psychotique même si l’esprit pragmatique la dénie.
Je désire donner l’exemple d’un autre patient, celui de M. Hubeau, dont les réponses lors de l’atelier (entre autres) nous montrent qu’il est impossible d’ « enlever » la réalité psychique du psychotique (étant donnée qu’elle est étiquetée plus comme un symptôme morbide qu’autre chose) avec cette approche « rationnelle », et ô combien la parole « rationnelle : cause-effet-solution » est en réalité une forme d’ « incommunication », un mécanisme de défense pour éviter de faire face à cette puissance existante et agissante, derrière laquelle se cache aussi la jouissance et le désir du psychotique…
C. Le cas de M. Hubeau
M. Hubeau est un patient de 30 ans, de nationalité française. Il occupait un emploi de manutentionnaire à la préfecture de police. Il est fils unique, de parents divorcés depuis 1990, et avec lesquels il a une relation très conflictuelle. Les grands-parents paternels/maternels sont très présents pour M. Hubeau. (Il les visite tous les mercredis).
M. Hubeau a fait sa scolarité jusqu’à l’âge de 16 ans, il connaît rapidement un échec scolaire, car selon lui, son désire n’est pas de faire des études, mais entrer jeune dans la vie active. C’est ainsi qu’il va exercer le métier de manutentionnaire à la préfecture de police, un emploi qu’il va conserver quelque temps. C’est à cette époque qu’il commence à consommer du cannabis et de l’alcool. Il quitte son travail sans raison précise ; puis fait quelques petits boulots, mais sans suite, il quitte à chaque fois ses emplois. M. Hubeau commence à s’isoler jusqu’au point de plus voir ses amis. Il ne s’intéresse plus qu’à la religion, prie la vierge pour la paix dans le monde… C’est dans cet état mental, qu’en 1996, M. Hubeau commet un acte hétéro agressif sur la voie publique : il gifle une jeune femme par qui il se sent menacé, il la prend pour une sorcière déguisée en Véronique Samson ; à la suite de cet acte, il s’assoit sur le trottoir afin d’y attendre la police qui le conduit à l’IPP, via l’hôpital…
Ce patient est connu de l’institution X depuis son hospitalisation en HDT, en février 1996. Il y aura en tout trois hospitalisations d’urgence à la suite.
M. Hubeau a fréquemment des hallucinations auditives, il entend des voix dans le mur qui lui parlent de messes noires. Envers le corps soignant, le patient reste réticent et méfiant, minimisant ses actes, déniant ses troubles du comportement, et à la fois les acceptant avec une « lucidité » surprenante. Il exprime des idées délirantes de persécution.
La deuxième hospitalisation se fait en HL en juillet 1998, M. Hubeau s’est rasé la tête, ne parle plus, et a un regard fixe. Il se donne ses coups violents sur son visage (phlébotomie), et demande à être protégé. Il s’est également automutilé l’avant bras « pour voir ce qu’il y avait dernière ».
La troisième hospitalisation se fait en septembre 1998, M. Hubeau a un discours délirant, il a tenté de se planter un bâton dans le front pour s’allonger le nez qu’il trouve court. Il a des conduites addictives massives (alcool, canabis).
A la suite de cette troisième hospitalisation le patient est dirigé vers le Foyer B… (une structure de l’institution X en question), et où il semble petit à petit se stabiliser. C’est un patient qui se confie beaucoup à sa grand-mère maternelle, et qui par ailleurs dit aux autres (soignants) que « Ca a du mal a sortir ». Il a néanmoins le même thème délirant : les messes noires, les sciences occulte, les marabouts etc.
Depuis environ 2 ans, M. Hubeau est entré au Foyer X, il est dit « stabilisé », ne prend plus d’alcool, ni de canabis. Ceci étant dit, lorsqu’on parle un peu avec lui, il évoque sa difficulté à résister à l’alcool, il en rêve la nuit. Il parle aussi de son délire en quel il croit toujours. En réalité il dit aisément qu’il entend des voix, qui sont selon lui celles du diable, puis enchaîne sur sa culpabilité due à une sorte de viol commis à l’âge de 16 ans, (des relations de type viol avec une petite amie). « Mon père n’est très âgé par rapport à moi, il fait pas « père » dit-il souvent, c’est peut-être pour ça qu’il m’a laissé faire ce que je voulais, j’étais livré à moi-même ». « J’aimerais m’en sortir, je voudrais reprendre le sport, je faisais du karaté quand j’étais petit, il faut aussi que je fasse de la guitare ». Tout ce qui se rapproche de l’ordre du désir est laissé au stade de projet. Il raconte aussi que lorsque son père s’était remarié, il lui avait donné sa bague de mariage qu’il s’était empressé de jeter par terre et de se rouler dans boue lui-même. « Tous les problèmes que j’ai eus avec mes parents, je pense que c’étais plus moi, je suis sûr que j’étais pas moi… J’ai été marabouté ». « Je comprends pas pourquoi Dieu ne se manifeste pas, je lis la Bible tous les soirs, mais il ne fait rien pour toutes ces catastrophes dans le monde». « J’ai peur de parler de ce que j’entends, j’ai peur d’en payer les conséquences ». Il raconte aussi que sa mère comme son père n’ont jamais été là pour lui. Il ne comprend pas pourquoi. Dans son dossier nous pouvons lire « Dans son enfance, on a l’impression qu’il n’y a pas eu de parentalité réelle, il a été en échec scolaire, puis en isolement et en retrait d’avec ses copains. On imagine un manque d’investissement maternel et un père absent (ensuite séparation parentale). On a l’impression qu’il est tiraillé dans un conflit de génération, entre ses grands-parents et ses parents, et qu’il est le seul à gérer. Il est tiraillé entre le bien et le mal ». Malgré cette « stabilité » en 2002, M. Hubeau s’est une fois acheté une seringue à la pharmacie pour se provoquer une saignée « pour nourrir le diable ». Il explique ce geste comme une tentative d’apaisement de l’angoisse, mais par une prise de conscience des conséquences, le patient a appelé une soignante à l’aide. Le délire de M. Hubeau reste riche, toujours empreint d’idées de persécution, vécu d’hostilité et surtout un automatisme mental très actif : hallucination psychiques, idées d’envoûtement, et d’influence à travers la magie… « J’aimerais parfois tout laisser tomber, et devenir un clochard, ce sera plus simple, je retrouverai l’alcool, la drogue, je serai puni comme il faut, il faut bien, je crois que je suis puni, il faut que j’accepte la punition, je ne suis pas allé à l’école, j’étais un mauvais élève… Le drogué, lui, il peut au moins s’évader dans le ‘paradis artificiel’, il n’y a pas cette souffrance… ». Il y a un an, M. Hubeau a retiré 1000 pour donner 500 à deux marabouts dont il a eu l’adresse à Paris (sans même les avoir vus).
M. Hubeau, diagnostiqué schizophrène paranoïde est certes un patient stabilisé, mais continue à vivre avec des délires que personne n’entend… Pire qui sont discrédités par les infirmiers, et voire rationalisés par l’atelier connaissance de la maladie. Que dit M. Hubeau lors des ateliers? Il tente à plusieurs reprises de faire comprendre à M. F. qu’il ne veut pas parler, et s’il parle, il tente d’évoquer à plusieurs reprises ses doutes, il dit souvent qu’il ne croit pas que ce soit une maladie dont il est atteint, il dit que c’est une sorcellerie « J’ai été marabouté ». Il tentera même de faire comprendre à M. F que « c’est du passé », qu’il trouve l’atelier « intrusif », il évoque aussi sa peur de retomber dans cet état de crise, (car il est connu au sein du Foyer que M. Hubeau est très fragile, et a constamment peur de redevenir « comme avant »), Comme d’autres patients, il dit qu’il n’aime pas parler de la maladie, mais veut parler d’ « autre chose ». Ceci étant dit, et par la force des choses, il adopte à la fois une attitude de soumission, et « joue le jeu » (comme tous les patients à l’exception de M. Caipre).
Survolons ce que M. Hubeau dit lors de l’atelier « connaissance de la maladie » :
46. M. Hubeau : Mais je ne sais pas si je peux dire ça devant tout le monde ! Moi je n’arrive pas à mettre ça sur le dos de la maladie, mais c’est une sorcellerie.
62. M. Hubeau : Eclairci non…
90. M. Hubeau : J’ai une question. Est-ce qu’un psychiatre peut prendre conscience de l’ésotérisme, et peut donner un autre terme à la maladie ? ou est-ce un délire ?...
91. M. Hubeau : Oui mais si on reste persuadé que c’est l’ésotérisme, la foi ! On peut dire Jésus, ou on peut parler de l’Islam…
93. M. Hubeau : … Moi personnellement je suis dans le doute.
150 : M. Hubeau : Je lis ce que j’ai marqué…
152. M. Hubeau : Nous avons pu à travers la vidéo connaître ce qu’est la maladie psychologique. L’angoisse et la psychose. Mais je ne me souviens pas de tout. Ce que je retiens surtout c’est qu’il faut toujours prendre ses médicaments.
154. M. Hubeau : C’est clair !
Tout en « jouant le jeu », nous voyons bien que M. Hubeau ne se défait (ne peut se défaire) en aucun cas de sa réalité psychique, sa maladie est une sorcellerie, un sort qu’on lui aurait jeté depuis son adolescence, peu importe ce qu’on lui dit au foyer X.
Je voudrais revenir sur la culpabilité de M. Hubeau, car celle-ci est très spécifique, et ne se manifeste réellement que lorsqu’on parle (normalement) au patient. Cette différence entre les patients montre qu’il est impossible de « traiter » les psychotoques d’une manière unitaire, car chaque cas est unique, et qu’il faudrait pouvoir construire pour chaque patient une théorie inédite (P. Fédida). Tandis que Melle Sharif vit « surveillée » (des écouteurs et des vidéos placés dans sa chambre et même sur elle qui seraient « invisibles »), M. Hubeau est rongé par une culpabilité « délirante ». C’est une sorte de culpabilité persécutrice dont il s’agit. Il dit être puni, que le diable est toujours quelque part près de lui, et le menace… Comment interprété ce diable ? Si on crée un espace de parole avec ce patient, (ce que j’ai pu faire encore une fois dans la salle de jeu et lors de « photo-jeu »), il parle de ce diable et enchaîne sur une relation qu’il a eue avec une fille à 16 ans. Il n’associe peut-être pas directement, mais nous, nous pouvons nous demander ce que l’évocation de cette relation de type viol vient dire autour de cette culpabilité extrême. Il y a une sorte de fixation sur cet évènement… Je me souviens qu’un jour il me dit un peu spontanément : « On nous dit rien ici, comment je dois faire pour avoir une relation avec une fille ?... La dernière fois ça s’est pas bien passé, et je m’en veux, je n’ose pas, je me dis que je suis mauvais », une autre fois il dit : « Je me demande souvent ce qu’elle est devenue, je me dis ‘la pauvre !’ », et il parlera du diable en ces termes : « le diable me demande du sang, et je me dis que je dois lui en donner, ça va peut-être arranger les choses, peut-être que quelqu’un en a besoin ? », Je me demande si ici le « quelqu’un » n’est pas la fille en question envers la quelle il se sent terriblement coupable. « J’aimerais allé voir un marabout, je suis sûr qu’il pourra m’aider, des fois il arrive à faire des choses que les autres n’arrivent pas, et puis lui il croit à la sorcellerie, ici, on dit que ça n’existe pas, mais moi je sais que ça existe, et puis je voudrai aussi savoir ce que la fille est devenue, je voudrai qu’il fasse quelque chose pour elle, je ne sais pas si mes prières vont l’aider », « Quand j’ai eu le problème avec cette fille, j’étais hanté, ça ne pouvait pas être moi »… A travers cette culpabilité délirante, le patient n’essaie-t-il pas de donner une certain sens à sa maladie, à son histoire ?... N’attend-il pas qu’on l’écoute sans s’attaquer au noyau de ses croyances ?... Si on s’enferme dans une « incommunication », au lieu de l’ « insertion sociale », le foyer post-cure, ne risque-t-il pas de mener ses patients à une sorte de chronicisation définitive de la folie ?...
M. Hubeau dira comme d’autres à M. F., face à l’opacité de la parole « rationnelle : cause-effet-solution » qu’il a compris, mais en fait il dit qu’il a compris qu’il ne sera jamais compris, et que la rencontre ne pourra jamais se faire entre le soignant et lui, le soignant « rationnel » ne pourra le reconnaîtra dans son altérité, que la communication n’aura pas lieu.
La réalité du patient est déniée, ou décrite comme une déficience, nous pouvons nous demander la conséquence que cette parole peut avoir sur le psychotique à long terme ?... La seule vie qu’il leur reste, qui fait partie d’eux devient la cible des soignants, Melle Sharif disait : la maladie c’est moi, ne peut-on pas comprendre ici une lutte contre ce morcellement que la parole du soignant moderne met en œuvre ?... N’y aurait-il pas quelque chose d’extrêmement dangereux à présenter les choses au psychotique de cette façon morcelée ?... La parole rationnelle ne découpe t-elle pas sans cesse le patient ?... Il n’est pas un sujet existant, unique, « un », mais un ensemble de symptômes, et selon les situations ils vont s’adresser à tel ou tel symptôme en le désignant comme mauvais objet à anéantir ?...
Je rejoins ici ce que C. Barthélemy[42] dit concernant cette question, le sujet ne peut exister qu’à ne pas être morcelé, « toute tentative de saisie partielle ou de point de vue particulier le fait disparaître. Un corps ne saurait pas plus résulter de l’assemblage d’un tronc, d’une tête et de membres qu’un tout ne saurait être que la juxtaposition de ses parties ».
Nous voyons bien qu’en psychiatrie, il est insensé de croire à de telles méthodes, et que cette parole qu’on adresse au psychotique ne lui parle pas. Il s’agit ici de phénomènes non répétables, pas nécessairement vérifiables, qui échappent à cette approche « rationnelle : cause-effet-solution », et pour lesquels seule une étude de cas pourrait donner quelque chose à comprendre.
C. Barthélemy nous dit que « s’il fallait à notre tour choisir un modèle scientifique nous proposerions volontiers que la méthodologie de la psychiatrie devrait au moins s’inspirer des trois enseignements majeurs de la mécanique quantique :
- L’observation est indissociable de l’observateur.
- Il existe un niveau d’incomplétude structural non déterministe du réel.
- Le tout est plus que l’ensemble de ses parties.
Ainsi, la démarche scientifiques en psychiatrie devrait tenir compte de ces enseignements : la relation transférentielle (fâcheusement absente des modèles bio-psycho-sociaux pour qui l’environnement n’inclut pas ‘l’observateur’), la liberté et la contingence (absence de la psychiatrie biologique comme de certaines tendances du Lacanisme), la complexité biologique et psychopathologique (absente des conceptions anglo-saxonnes). Sans parler des démarches cumulant ces différents réductionnismes ».
Là où je voudrais en venir surtout, d’après mon observation et mes rencontres avec les psychotiques, c’est à l’altérité de ces derniers, leur réalité psychique (peut-être irrationnelle pour nous, ou encore « malade », mais comme étant indissociable d’eux, comme étant une des choses les plus précieuses, qui, si nous la prenions réellement en compte pourrait nous amener à rentrer en communication avec ce dernier. Et cette réalité psychique du psychotique est liée au « délire ». Ce délire dit une certaine vérité de l’histoire du patient. Je voudrais pour un bref moment m’attarder sur la fonction défensive de ce phénomène, qui tend de nos jours à devenir une production morbide à contrecarrer, et qui est en fait une voie de guérison... Etrange paradoxe, et encore une fois, quelles conséquences dans les années à venir d’une telle approche ?...
J-C., Maleval évoque lui aussi dans Logique du délire[43] le réductionnisme auquel nous avons affaire dans notre discipline : « (p1) La thèse freudienne selon laquelle il constitue (le délire) une tentative de guérison n’est pas ignorée. Un paradoxe subsiste pourtant, rarement soulevé, il réside dans la conviction, presque unanime, selon laquelle ce travail autothérapeutique doit être contrecarré, réduit, jugulé. Certes, tout clinicien sait qu’à vouloir dissiper le délire trop activement on amène le sujet à la réticence, voire à la dépression, si ce n’est au passage à l’acte : l’analogie avec le cancer n’en persiste pas moins à régner. A l’encontre de cette approche, ce qui est proposé ici constitue un plaidoyer pour un respect et un accueil du travail subjectif à l’œuvre dans le délire. La psychiatrie moderne, inféodée au discours de la science, s’oriente vers ce qui est au principe de ce dernier : une exclusion méthodologique du sujet. La conséquence la plus manifeste de cet idéal dominant réside dans le postulat, aujourd’hui toujours plus répandu, selon lequel la connaissance en ce champ ne progressera plus de la rencontre avec le patient. Dès lors un fossé se creuse entre la clinique psychiatrique et celle de la psychanalyse. A cette dernière revient maintenant la lourde charge de faire contrepoids au déferlement du discours de la science ». Il est important de souligner à nouveau qu’en réalité ce qui est dénié dernière la réalité psychique, (dont le délire) du psychotique c’est le sujet unique, en l’occurrence, la singularité de chaque cas. Ce discours auquel j’adhère, n’est pas anti-psychiatrique, ni un surréalisme, comme le dit J-C Maleval, mais un « signal d’alarme » pour que soit pris au sérieux, à nouveau, la découverte de Freud (dont la réalité a été démontrée par tant d’autres psychanalystes/psychiatres), dans son approche du délire comme voie de guérison… D’ailleurs le résultat de l’approche stérile de la psychiatrie moderne est qu’au niveau de la recherche rien n’est réellement apporté, il n’y a eu que quelques détails véhiculés autour de « l’objet-fou », mais pas de découverte réelle depuis Clérambault, et Lacan, (J-C, Maleval, 1996).
Je voudrais revenir sur ce que Melle Sharif dit et qui est d’une extrême pertinence et qui devrait nous donner à réfléchir, lorsqu’elle dit qu’elle doit toujours (ou plutôt « on doit ») apporter du négatif, des excréments, de la maladie, puis dit : la maladie c’est moi !... Cela me fait penser à ce que R. Wartel écrit à ce sujet (cité par J-C., Maleval) : « (p3) Loin d’être identifiable à des inaptitudes, des carences ou des faillites, sera dorénavant repéré à son effort inhumain, parce que c’est inhumain, surhumain de tout refaire du monde. C’est la raison, ajoute-t-il pour laquelle nous, névrosés, en avons confié la tâche à Dieu ». C’est ici que se révèle l’existence dérangeante du dynamisme inconscient possédant ses propres lois, et J-C., Maleval continue : « (3-4) Ce dernier (le dynamisme inconscient possédant ses propres lois) s’avère particulièrement discernable dans la paranoïa – et dans la paraphrénie systématique. Or la tendance est à la disparition de ces types cliniques submergés par une schizophrénie envahissante, parce que plus conforme aux approches déficitaires- qu’elles soient psychanalytiques ou cognitivistes. Il s’agit de renverser la perspective, en mettant l’accent sur les ressources d’une dynamique inconsciente et non sur des déficiences de la pensée ».
La communication avec la psychotique n’est possible qu’à travers une vraie parole qui sous-tend une vraie écoute : une écoute attentive de la parole du sujet unique. Il apparaîtra alors comme le dit J-C., Maleval qu’il n’y a pas d’idées délirantes en soi, mais uniquement des sujets délirants.
Je voudrais continuer par intégrer un passage de Logique du délire, qui est certes long mais qui illustre d’une manière pertinente ce que je tente d’écrire autour du déni de la réalité psychique (délirante) du psychotique et de ses conséquences. J-C., Maleval dans la conclusion nous donne un merveilleux exemple d’un psychotique qui raconte le parcours de sa maladie et qui me fait penser à tous les patients du Foyer post-cure X, qui sont constamment ramenés à la réalité extérieure. Il écrit : « (p195,196) La psychose de Christian Guez s’est déclenchée en 1996, à l’âge de dix-huit ans, suite à un chagrin d’amour. Il lui vînt alors l’idée de se tuer pour se réincarner dans la jeune fille aimée et de devenir son enfant, le Messie. ‘C’était refaire ce qu’aurait fait l’ange Gabriel sous la forme de Jésus’[44]. Guez est un poète de talent qui obtînt en 1965 le prix Paul-Valéry. En 1974, il bénéficie d’une bourse pour séjourner à Rome en tant que pensionnaire de la Villa Médicis. Quand il rencontre Coudray en 1978, il a publié plusieurs recueils de poèmes, il a achevé brillamment des études de commerce, et il a déjà subi plusieurs hospitalisations lors desquelles des traitements biologiques administrés (neuroleptiques, cure Sakel, lithium). Que s’était-il passé jusqu’alors quand il faisait part de son délire ? Lors d’un séjour dans une clinique de post-cure pour étudiants, il rapporte avoir confié à un infirmier qu’il avait vu la Vierge noire. Dès lors, comme dans la plupart des institutions psychiatriques, il parut urgent de tenter une nouvelle fois d’éradiquer la tumeur délirante. « On m’a remis en quarantaine, écrit Guez, avec une piqûre de neuroleptiques matin et soir pendant huit jours. Je ne pouvais plus sortir du couloir et mon discours devenait incohérent. Je rechutais à l’intérieur de la clinique. Mais poursuit-il, il avait une véritable psychothérapie. Je voyais un médecin une demi-heure, une fois par semaine (…) C’était le docteur F. qui s’occupait de moi, il était assez directif. Il était positiviste, matérialiste, puisque pour soigner mon esprit et l’atteindre, il nourrissait mon corps de médicaments. Je ne lui parlais guère du monde imaginal ni de la sujétion d’une partie des anges à l’homme réintégré dans sa condition adamique (…). Pour le Docteur F., la guérison était la réinsertion sociale du malade (…). Or il constate que la rencontre de Coudray introduit une relation thérapeutique d’un ordre radicalement nouveau (…). La cure dure six ans : de 1978-1984. Le psychiatre se met à l’écoute du délire sans avoir pour optique majeure d’en contester les postulats (…) en acceptant de se faire l’adresse du délire, il permet que peu à peu ‘un classement s’opère’. Maintenant, affirme Guez, au terme de son témoignage, ‘je me trouve devant une construction qui est le fruit de ma vie, de mes souffrances et de mes errances, de mes rêves, de mes prières et de mes dépressions (…). Je ne cherche plus quelqu’un pour répondre à la question : ‘qui suis-je ?’ Je décide que, maintenant, je serai celui qui va au centre du labyrinthe, peu importe le nom qu’on lui donnera (…). Que s’est-il passé selon Guez dans cette cure où le psychiatre a tenté de s’abstenir le plus possible de toute interprétation, de tout conseil et de toute critique ? Parti de l’énigme de l’incarnation des anges en se demandant s’il est possible d’en incarner un, c'est-à-dire sa parole, pour que soit tenue la parole de Dieu même, le patient en arrive à considérer que ‘ce qui compte ce n’est pas que les anges existent ou n’existent pas, c’est de savoir si ma vie a changé et si celle-ci a un sens, qui lui fait que la vie est possible même si elle naît d’une affirmation qui est un leurre pour la plupart (…). Aux préoccupations de Coudray demandant naïvement à son patient s’il est schizophrène. Guez répond tout d’abord avec justesse que c’est au psychiatre de savoir le sens qu’il convient de donner à ce mot, puis, sur l’insistance de l’autre, il en tente quelques approches poétiques, enfin il conclut avec pertinence que son problème est dans ce qu’il fera de la schizophrénie et avec elle, ‘l’essentiel, note Coudray, n’est-il pas qu’il puisse exister des schizophrène en bonne santé ?’ ».
Nous avons ici un exemple parmi d’autres, de ce qu’une vraie communication apporte au psychotique, cette écoute qui se fait à travers un vrai rapport, une vraie parole : autrement dit par l’évitement d’interprétations sauvages, par des conseils (souvent liés à notre réalité conventionnelle), des critiques... Le vrai rapport, essentiel dans ce domaine plus que dans d’autres, permettrait d’éviter de planifier la cure en fonction d’idéaux normatifs, lesquels comme le dit J-C. Maleval, à trop vouloir le bien du sujet ramènent volontiers au pire.
Je désire, ici, donner une autre illustration clinique afin de mieux argumenter ma réflexion. Il s’agit de l’atelier « Prendre soin de soi » animé par Danielle, infirmière, qui comme nous allons le voir utilise elle aussi la parole « rationnelle : cause-effet-solution » pour s’attaquer de front au fameux symptôme des patients schizophrènes qui est l’incurie. Et nous allons également voir que comme lors de l’atelier « connaissance de la maladie » les patients « jouent le jeu », disent/écrivent ce que l’infirmière voudrait entendre/lire, ceci étant dit, tout comme les exemples cliniques précédents, des éléments de leur vie psychique font surface ; dernière cet abrutissement crée par la parole instrumental, ils tentent de dialoguer parfois, mais cette parole est constamment déniée car elle fait partie de « l’anormalité » à éradiquer. Par conséquent, cet atelier à travers la parole instrumentale, fait tout autant cesser la communication. Je dirai que c’est pour l’amour d’un idéal, que les soignants modernes ramènent les patients vers une médiocrité. Qu’est-ce que prendre soin de soi ?... Grande question… Mais en fait, non, cet atelier éduque le schizophrène, l’infantilise, le ridiculise presque, ne veut venir qu’à un seul but : « la pro-pre-té ! être pré-sen-ta-ble au yeux de la so-cié-té… ».
D. L’Atelier « Prendre soin de soi »
C’est ainsi que chaque semaine, Danielle anime l’atelier « primordial » du Foyer X., « Prendre soin de soi » où des patients sont très sollicités et/ou obligés à y participer.
L’objectif est d’expliquer selon les semaines : (Je reprends brièvement les paroles de Danielle…)
- Quand et comment se laver les mains (avant et après les repas, après les toilettes…).
- Quand et comment prendre soin de ses ongles (brossage avec la brosse à ongle, les couper avec des ciseaux, de même pour les ongles des pieds….).
- Quand et comment se brosser les dents…
- Quand et comment prendre sa douche (le savon ou le gèle douche pour le corps, le shampoing pour les cheveux…).
- Quand et comment embellir son visage et ses mains (crème hydratante etc…).
- Quand et comment entretenir les bagues et bracelets (les enlever pour prendre son bain, les nettoyer une fois par semaine…).
- Quand et comment entretenir les vêtements et les sous-vêtements…
- Quand et comment entretenir sa chambre etc.
A côté de cela, les patients se doivent de remplir chaque jour ce qu’ils ont fait pour prendre soin d’eux, et l’apporter à l’atelier afin de le lire devant les autres patients, et d’en « discuter »…
De plus lors de l’atelier, ils sont tenus d’écrire ou de dessiner quelque chose autour d’un thème, par exemple le lavage des cheveux et commenter les bienfaits de ce soin… Puis, on les invite à remplir une sorte de questionnaire autour de ce sujet (voire Index).
Lors de la première session (il y a environ dix séances), il y a 6 participants : M. Didier, Mme Paul, Melle Simon, M. Benoît, M. Kanina et M. Caipre.
Ce qui est intéressant de souligner (ou de revoir à nouveau) c’est que face à la parole « rationnelle : cause-effet-solution », récurrentes et stériles de Danielle, les réponses des patients sont elles aussi tout autant récurrente et stérile pour la plupart du temps comme si ils avaient enfin pris en compte la réalité conventionnelle et qu’enfin ils étaient propres, ceci étant, et c’est cela qui surtout nous intéresse c’est que pour un bref moment certains patients se lassent de faire ce qu’on leur demande et provoquent avec plaisir le soignant, en effet quelque chose de la réalité du psychique ressort et tente d’envoyer à un message au dernier, mais cette réalité est toujours et encore ramenée vers la réalité conventionnelle par la parole instrumentale. Je ne vais pas restituer à chaque fois les paroles de Danielle, car si je le faisais je me répèterais, elle dit simplement comment prendre soin de soin de soi tout comme l’objectif que j’ai présenté plus haut, (et ce d’une manière machinale, explicative, sans présence humaine…). Elle tente de faire parler les patients, (je devrais dire elle tente de les faire répéter derrière elle ce qu’elle « récite » chaque semaine); c’est pourquoi je ne m’attarde ici qu’aux réponses des participants, qui bien souvent ne sont que le reflet de la manière dont on leur parle, voici donc quelques exemples :
Je commencerai par M. Caipre et M. Kanina, et je présenterai également leur anamnèse ainsi que quelques éléments de leur vie psychique.
M. Caipre ne précise pas les dates, il écrit uniquement les jours :
Lundi 09.02 : J’ai pris une douche.
Mardi : J’ai pris une bonne douche.
Mercredi : La douche c’est génial.
Jeudi : Prendre une douche ça fait du bien.
Vendredi : Ouah ! Ca réveil une douche !
Samedi : Une douche c’est cool !
Dimanche : C’est parti une bonne journée après une bonne douche !
M. Caipre écrit le poème suivant :
Il faut prendre soin de ses cheveux c’est important
C’est comme se laver les dents
Je me les lave 2 fois par semaine
Et ça vaut la peine
Douce et soyeuse est ma chevelure
Pour elle je ne veux aucune rature
Pour qu’elle soit belle le lendemain
Ce sera peigne et shampoing.
M. Kanina écrit pendant la semaine du 23.02.04 au 29.02.04 :
Lundi 23 : Pas de réponse.
Mardi 24 : J’ai pris ma douche au levé et je me suis passé de la crème hydratante pour embellir la peau et hydrater la peau.
Mercredi 25 : Douche prise à 11h très relaxante application de la crème uniquement sur le visage, je me sens neuf.
Jeudi 26 : Douche très relaxante aux alentours de 10h45.
Vendredi 27 : Douche prise à 11h et sauna l’après-midi.
Samedi : Douche prise à 10h30.
Dimanche : douche prise à 13h50.
Pendant l’atelier M. Kanina écrit un poème autour du soin du corps :
Après un bon steak saignant
Je brosse mes dents
C’est très important
C’est le premier geste du matin
Direct j’en prends soin
Et je suis plus serein
Banches elles seront
Toutes elles fondent
Et de moi elle change d’opinion.
La parole « rationnelle : cause-effet-solution » n’amène nullement le patient à exprimer sa subjectivité, à parler de lui, elle contrecarre toute possibilité d’élaboration comme nous l’avons déjà dit dans notre travail à plusieurs reprises. Face à la disparition du sujet unique qu’elle tente de mettre en place (de créer/fabriquer), ce rapport me fait penser non seulement à la toute-puissance…, mais également à la pensée opératoire, et je voudrais m’attarder sur ce point.
2. La parole « rationnelle : cause-effet-solution » en tant que rationalité instrumentale contre la réalité psychique du psychotique, pourrait-elle être rapprochée à la pensée opératoire ?
Le concept de « pensée opératoire » ( P. Marty et M. M’Uzan, 1962), désigne une forme de psychopathologie de la pensée. A vouloir toujours tout « rationaliser », « instrumentaliser », à se focaliser sur « l’idéal » de la « réalité externe » : lié à des images pseudo-conventionnelles… L’esprit moderne, en l’occurrence le soignant moderne, ne finirait-il pas de nos jours à vivre dans une forme de vie opératoire, ou il tente de dénier toute autre forme de réalité, tout particulièrement toute forme de jouissance qui peut se cacher derrière l’ « irrationalité » de la vie psychique du fou (J-C., Maleval, 1996) (puisque faisant partie de l’ « anormalité » par excellence)?... N’arrive-t-on pas aujourd’hui à une sorte de « misère de l’idéal du moi » (M. De M’Uzan)[45] ? A une sorte de misère de la « perfection », de la « normalité » (qui bien évidemment passe par le modèle explicatif, pseudo-scientifique, logique, normatif…)?
Je m’aventure à dire qu’il y a un rapprochement possible à faire entre la parole « rationnelle » comme rationalité instrumentale et la « pensée opératoire ». Comment comprendre cette parole qui remplit tous les vides et que nous rencontrons de plus en plus de nos jours ?... Que se passe-t-il du côté de l’inconscient social ?...
Ne pas avoir de réponse à tout symptôme dans nos sociétés modernes pourrait être comprise comme un rejet radical du manque, ce manque comblé par un surinvestissement de la réalité dans sa matérialité.
M. Caipre et M. Kanina comme d’autres patients ont une histoire lourde, et une vie psychique à thèmes délirants, et nous voyons ô combien cette réalité est abrasée par la parole « rationnelle », que cela soit lors des ateliers ou hors ateliers.
A. Le cas de M. Michel Caipre
M. Caipre, originaire des Antilles, est né en 1978, en France.
Sa mère aurait eu des troubles mentaux, vraisemblablement de type bipolaire. Elle est toujours restée quelque peu ambiguë quant à la paternité de Michel : elle semble avoir soutenu que le père est un homme qui travaille comme infirmier psychiatrique à la clinique D. (A la demande insistante de Michel, une assistance sociale de l’Institution X. a contacté cet homme, qui a confirmé qu’il a connu la mère du patient, il y a une vingtaine d’années, mais sans avoir eu de liaisons avec elle).
Michel a 10 ans quand sa mère décide de quitter la France pour revivre en Guadeloupe, où ils vivront avec sa grand-mère maternelle qui en aura la charge. La grand-mère connaîtra des difficultés grandissantes à canaliser Michel qui présente, vers l’âge de 16 ans comme un jeune peu intéressé par les études, « Chahuteur » au collège et enclin à la consommation de produits toxiques. Ce dernier ira tout de même jusqu’au baccalauréat (STT).
Débordée, elle demande à son fils (frère de la mère, entraîneur sportif, vivant à Paris) d’accueillir Michel, et de se charger de son éducation. Michel montrait à l’époque un certain talent pour le basket-ball, ce qui a sans doute été la justification « idéalisée » de ce changement de tutorat. Toutefois, Michel présente, dès son arrivée chez son oncle, des conduites d’allure psychopathique, qui le conduisent à la première hospitalisation à l’hôpital de S. en 1999, puis à une rupture avec l’oncle et à une errance en France qui a conduit, entre autres, aux différentes hospitalisations (dont une à Lannemezan en 2001; Michel se trouvait à ce moment à Tarbes sans raison - voyage pathologique -).
Entre deux errances, Michel réussit à travailler en intérim pendant quelque temps. Son dernier emploi a été agent de régulation à la RATP, poste qu’il a occupé de janvier à avril 2002.
Michel est admis au Foyer X. depuis le début de l’année 2003.
Soulignons que M. Caipre est diagnostiqué « maladie affective bipolaire », mais le Foyer X. a décidé qu’il était « schizophrène » ! (Ce qui montre très précisément ô combien le rejet de l’altérité du psychotique est grand, nous sommes ici, face à un rejet de la singularité de la psychose. Je rejoins certains auteurs qui nous mettent en garde sur le fait que bientôt nous ne parlerons plus que d’une et unique psychose !).
M. Caipre se retrouve très seul.
Durant l’hospitalisation, les contacts ont été pris avec l’ensemble de la famille pour conseiller un hébergement familial afin de mettre en place des soins au long cours et un dispositif d’aide médico-social (AAH et mesure de protection). La famille n’a pas souhaité s’engager auprès de M. Caipre pour ces soins.
Michel a souvent des idées délirantes à caractère persécutif et mégalomaniaque, il pense être le « maître » de tous, commande les patients, leur vole leur nourriture, se fait rendre constamment des services, et surtout reste dans une incurie assez spectaculaire (il ne se lave presque jamais, il urine dans sa chambre…). Au Foyer X., il est la « bête noire », les soignants montrent une grande agressivité vis-à-vis de lui, et emploient d’une manière encore plus violente ce rapport « cause-effet-solution », qui même s’il est chaque jour mis en échec, ne le remet pas en question, au contraire, le ton durcit chaque jour d’avantage…
Que signifie-t-elle donc cette ultra-rationalité qui négligeant tout ce qui ce trouve hors de son épure ?... Qui ne tient compte d’aucune histoire, d’aucune parole du psychotique, et qui ne voudrait entendre que la « raison », la « cohérence », l’ « adaptabilité » ?...
Que veut dire M. Caipre quand il essaie de se faire passer pour le maître (père ?) de tous ?... Que veut-il exprimer par son agressivité ? sa réticence à obéir ? Que signifie cette incurie qui ne cesse de croître face à la parole récurrente de plus en plus violente du soignant ?... Quelles sont les questions qui doivent être posées à partir de tels exemples ?...
Je voudrais donner un autre exemple d’un cas clinique, celui de M. Kanina, pour bien souligner qu’à travers la parole « rationnelle : cause-effet-solution » on tente d’éradiquer la réalité psychique du psychotique, et que malgré l’engouement autour de cette méthode « cause-effet-solution », son soi-disant succès miraculeux, et malgré tout ce que l’on écrit autour d’elle : des articles ou des colloques[46] pour démonter son succès (d’où son étroit rapprochement avec la rationalité instrumentale – l’intérêt calculé pour avoir un résultat déjà connu sans se soucier de l’autre et de son altérité), celle-ci ne peut être désignée comme une parole communicative, encore moins une parole thérapeutique, loin s’en faut !
B. Le cas de M. Willy Kanina et autres patients
M. Kanina est né aux Antilles et a grandi en France. C’est un patient de 25 ans dont des « troubles graves de la personnalité post traumatique » ont été diagnostiqués. Pour simplifier les choses il est lui aussi « schizophrène »( !) pour le Foyer X. où il est admis depuis le début de l’année 2003.
Willy n’a pas vu son père depuis l’âge de 4 ans, ce dernier vit aux Antilles. Notre patient le voit comme un traître et un lâche : « il est parti, il a trompé ma mère ». Vers l’âge de 16 ans ans, Willy commence à avoir une exigence anormale vis-à-vis de sa famille (composée de plusieurs sœurs et un frère), qui doit se conformer à ses lois étranges (thèmes délirants) jusqu’au moment où cette situation finit par engendrer de très graves conflits familiaux. Le patient est mis à la porte. Il se réfugie chez sa petite amie qu’il commence à son tour à harceler jusqu’à ce qu’elle ne le quitte définitivement. Willy se lie alors avec une autre personne, cette fois-ci de sexe masculin, il dit que ce dernier est un ami avec lequel il noue une amitié très forte, exceptionnelle, « nous étions comme un couple, c’était mon autre moitié, il n’avait pas le droit de me quitter pour allez avec une fille »… En effet, lorsque cet ami veut faire sa vie avec une femme, Willy devient très violent, « c’est là que j’ai vraiment disjoncté ». Il va jusqu’à suivre l’ami en question chaque jour, et ne supportant pas de le voir heureux avec une autre personne, il va le battre. (L’ami en question ira jusqu’à l’attaquer en justice).
Depuis trois ans M. Kanina n’a pas vu sa mère. Il a une très grande difficulté à tisser un lien familial, « je m’en sent pas capable, je suis trop envahi par mes soucis ».
M. Kanina dit souvent aux soignant qu’il n’apprécie pas « qu’on lui mette la pression », et dit être en difficulté pour s’exprimer autrement que des passages à l’acte.
Lors d’un entretien exceptionnel avec M. F., Willy tente de parler de ses angoisses, mais est contrecarré par les dires du psychologue, ce dernier lui formule les mêmes règles, il écoute un peu le patient, et le discrédite « je ne vous crois pas », « vous avez la capacité de changer… ». Il lui formule que ce mode de fonctionnement (celui de M. Kanina) est inefficace et les déterminations de l’équipe de Foyer X demeurent. La « communication » est très abstraite… :
« L’equipe peut l’aider à sortir de son isolement social et de sa difficulté, mais à la condition que M. K coopère en venant solliciter les soignants ».
Il est invité « à tisser des liens de confiance avec les membres de l’équipe, c'est à lui de faire la démarche vers les soignants ».
Il lui est demandé « d’être régulier, dans sa présence aux horaires des repas, de se conformer au cadre du Foyer X », de « respecter le programme de soin proposé par l’équipe », de « s’investir par la participation aux ateliers »…
M. K dit souvent que dans tous les endroits où il a été il a perçu les gens comme « contre lui », les gens « méchants ».
Il dit souvent que lorsque les soignants lui parlent, il le voit comme « de la méchanceté ».
La parole « rationnelle : cause-effet-solution » ressemble fortement à la rationalité instrumentale comme j’ai tenté de le montrer, un phénomène qui est largement étudié par la psychosociologie, et qu’il devient usuel de rencontrer dans divers domaines ; par conséquent, il est lié à une « psychologie des masses »… Mais en même temps j’ai aussi tenté de traiter cette question du point de vue de la psychanalyse, du point de la clinique, du soignant moderne pris en tant que membre d’une époque, d’une société donnée… qui adhère à un tel ou tel fonctionnement face à tel ou tel évènement (en l’occurrence, face à la folie !), pour une fin déterminée, et ce qu’elle engendre comme résultat chez le psychotique. A ce sujet, je pense pouvoir évoquer ici « des solutions sociales de l’inconscient », c’est à dire « l’idée d’une relation continue entre les formations sociales elles-mêmes et celles de l’inconscient, autrement dit, entre la formation du social et le travail de l’inconscient (p1) » (M. Zafiropoulos, 2001)[47]. Comment comprendre les formations de ce type « rationnel » dans l’organisation sociale ? … Comment comprendre le rejet du manque, encore une fois ?... Il y aurait certainement plusieurs rapprochements théoriques à faire, mais je désire m’attarder sur la pensée opératoire (je ne peux évoquer en détails tous les autres rapprochements dans ce travail).
La rationalité instrumentale dans notre contexte est comme l’opératoire qui subvertit la polysémie du mot « réalité ». Je reprends ici, des idées de A. Fine qui écrit dans « L’opératoire comme négatif de la réalité psychique »[48]: « (p173) il (l’opératoire) le réduit à une pseudo-totalisation, comme explication, compréhension de la vie dans le hic et nunc, par des éléments purement objectifs des conditions de vie, actuelles ou passées. Il y aurait comme une manipulation du réel, qui tend à dissocier celui-ci de son univers psychique singulier pour le décomposer en constituants universels plaqués, sur quoi le sujet pourrait avoir une prise apparemment rationnelle, mais par là même, neutre et indéfinie.
L’opératoire suppose, et c’est là sa visée, un isolement relatif du rapport à Soi (– et dans notre cas à l’autre/psychotique-), tant dans l’activité de pensée que dans l’épreuve de souffrance ; il suscite et alimente la croyance qui tend à faire coïncider réalité et extériorité, il aimante vers le surinvestissement du factuel pris comme seule donnée phénoménale. C’est une interprétation superficielle de l’interception du réel, une tentative de ne pas se cogner à la « dure réalité ». Cette dure réalité qui serait dans le cas des soignants moderne : La réalité psychique agissante et dominante du psychotique. L’opératoire est impossible dialectisation entre réel et irréel. Ce qui compte dans ce fonctionnement c’est le perçu. Le perçu qui éradique toute idéalité relationnelle, « et son objectivité s’apparente, régressivement, à une formalisation quasi hallucinatoire. Il y aurait, comme le dit A. Fine, une régression du Moi des sujets soumis à l’opératoire devant tout caractère d’un évènement à potentialité traumatique ». Pouvons nous penser que ce qui a un caractère d’un évènement à potentialité traumatique dans nos sociétés rationnelles c’est l’irrationalité de la réalité psychique ? de tout ce qui n’est pas considéré « normal » ? La parole « rationelle : cause-effet-solution » cacherait-elle donc une régression qui ferait retour à un mode primitif de penser et de comportements proches des mécanismes à l’origine du processus hallucinatoire primaire, qui cette fois serait privée de la qualité libidinale ?... Dans ce type de rapport, nous ne pouvons ne pas noter l’économie de la perception au détriment d’une identité de pensée qui pourrait s’avérer hostile… (A. Fine, 1995).
Ceci étant dit, je voudrais attirer l’attention sur un très profonde nuance, les soignants modernes utilisant la parole instrumentale ne sont en fait pas des opératoires, loin s’en faut. Ils le deviennent presque consciemment face au psychotique. Je voudrais bien souligner cette différence, ce comportement étrange. Les soignants au Foyer X., dès qu’ils se retrouvent entre eux, reprennent en une fraction de seconde leur « vraie » personnalité, loin d’être opératoire et soucieuse de la réalité conventionnelle, bien au contraire : par exemple c’est d’une manière régulière que je l’ai vus se moquer du « conformisme ». Ma collègue stagiaire et moi, nous avons été régulièrement surprises de les voir prendre des « rôles » quelque peu inquiétants : un tel soignant se prenant pour l’amant d’une telle ou telle soignante mariée, etc … Des « blagues » régulières à connotation sexuelle, et parfois vulgaires sont racontées d’une façon très naturelle (tout en nous demandant par moment si ils ne nous choquaient pas -nous, les « petites stagiaires »- ; et des rires provocants à la limite de l’agressivité (comme si nous avions affaire des adolescents « déchaînés »…).
Mais dès qu’il y a rencontre avec un psychotique, ils deviennent on ne peut plus opératoire, une rencontre qui les fait basculer dans une extrême « normopathie », dans un registre où la défense opère contre toute réalité psychique du patient, contre toute idée que le psychotique tout en vivant tel quel, peut aussi vivre avec une certaine jouissance/désir… A. Fine nous dit que dans l’opératoire, cette défense est décrite comme quasi consciente. Comment comprendre cette parole qui surinvestit le factuel, et qui contre-investit la réalité psychique du fou ? Mais surtout comme interpréter ce « jeu » si inquiétant tel un rôle obligatoire à jouer avec le psychotique ?
Cette « défense », n’essaie-t-elle pas de supprimer la relation originale avec le « fou » qui pourrait être aussi ressentie comme une blessure narcissique ou comme une perte de soi, car s’il y avait une réelle confrontation, il y aurait une incompréhension inacceptable, une confrontation à « non-réponse immédiate » ; n’y aurait-il donc pas un rejet d’un manque, que dans nos sociétés modernes nous avons oublié d’accepter comme faisant partie de la relation à l’autre ?...
L’opératoire est utilisé pour donner l’exemple au psychotique, nous avons affaire à un désir de transformer la réalité psychique du psychotique en quelque de chose de purement opératoire qui ne gênerait plus personne…
On ne peut que s’affliger de nous rendre compte que cette parole adressée au psychotique est d’une pauvreté rare, et que nous avons affaire à un dépérissement du sens du symbolique.
Je voudrais ici donner l’exemple d’un poème, qu’une fois, Mme Paul a écrit lors de l’atelier et qu’on ne peut comprendre s’il y a un tel dépérissement du sens symbolique de la par du soignant :
Mme Paul est une femme schizophrène d’environ 55 ans, elle participe à cet atelier car son incurie (comme celle des autres par ailleurs) est « inacceptable » :
Avant d’entrer à l’hôpital je ne
Me brossait jamais les dents.
Belle dans mon âge
Belle dans ma peau
Belle dans mes dents
Je n’ai plus que quinze dents
Que mes dents étaient belles
Belle comme le jour
Belle comme la nuit
Après avoir trop embrasé
Après s’être trop enlacé
Mes dents sont tombées
Après avoir trop mangé
Après avoir trop sucer de belles sucettes
Elle sont cariées
Et j’étais obligée d’aller chez le dentiste
Et là il m’a fait plein de chatouilles
Et j’ai rigolé
Et il m’a arraché deux ou trois dents pour mon bien
Et j’ai perdu mon joli sourire
J’avais le sourire de Julia Robert…
Et il m’a mis un dentier pour mieux manger
Et pour mieux sourire
Car sous mes belles dents de devant
Je fais peur comme une sorcière
(…)
Peut-être qu’il n’est à présent plus la peine de dire que la parole rationnelle du soignant s’est empressée de l’ordre, et « rediriger » la patiente vers le fonctionnement opératoire…
C’est ainsi M. Didier est souvent « harcelé » pour qu’il participe correctement à l’atelier, car ce dernier tout en répondant ce que le soignant désire entendre, ne pourra s’empêcher de dire l’opposé, pour provoquer.
M. Didier, pour la semaine du 23.02.04 au 29.02.04, il écrit autour des soins des cheveux :
Lundi 23 : Je vais chez le coiffeur pour faire rectifier ma brosse.
Mardi 24 : Avoir les cheveux courts, pour un homme est synonyme de normalité.
Mercredi 25 : Les cheveux sont la plus belle parure de la femme.
Jeudi 26 : shampoing.
Vendredi 27 : J’ai plein d’épis rebelles, mes cheveux sont incoiffables.
Samedi 28 : Caca à 10 heures pétantes, productions d’hydrogène sulfurée.
Dimanche 29 : shampoing-chiottes (je me lave la tête dans la cuvette des WC).
M. Didier, pour la semaine du 16.02.04 au 22.02.04.
Lundi 16 : Je change mes draps. Injection IM d’halopéridol.
mardi 17 : Douche le matin, rasage et brossage des dents le soir.
mercredi 18 : Douche le soir, rasage + brossage des dents.
Jeudi : Le soir : douche. Brossage des dents et rasage.
Vendredi : Douche le soir. Rasoir + lavage bouche.
Samedi : Caca à 10 heures.
Dimanche : Lavomatique.
L’atelier est un véritable échec, dans tous les sens du terme, (les patients continuent à vivre dans l’incurie, et je pense même que certains d’entre eux font exprès d’empirer leur état – comme par exemple M. Caipre, qui résiste fortement à la parole « rationnelle » -, mais ce qui est inquiétant c’est que tout comme l’ « atelier connaissance de la maladie », cet atelier ne prend en compte que les mots du patient lorsque ce dernier pour être tranquille dit ou écrit ce que le soignant désire… La parole instrumentale ne s’attaque qu’aux symptômes, elle ne renvoie au psychotique qu’une image de déficience de leur folie, or faut-il voir la folie comme une simple déficience ?... Quelle est la place pour la vérité qu’un symptôme vient dire ?... En renvoyant systématiquement une image négative de leur situation, à travers cette manière de parler, ne les chronicise-t-on pas dans leur folie, ne l’aggrave-t-on pas, ne rendons nous pas leur souffrance plus grande ?... Il me semble que oui, et les patients, avec lesquels j’ai pu beaucoup parlé dans la salle de jeu, m’ont fait part de leur souffrance, il semblerait qu’ils acceptent de vivre ainsi uniquement parce qu’au Foyer ils ont un toit pour dormir et de quoi manger !... M. Kanina m’a très souvent dit : « je ne comprends rien à ce qu’ils me dit M. F. ! » « Ils me prennent pour un imbécile ici ! ». M. Caipre : « Ils m’ennuient avec leur atelier ! ca me donne pas envie ! », Melle Sharif : « Ce n’est pas la vraie vie, on dit qu’on nous apprend à vivre dans la société, mais c’est pas ça la vie ! on n’est pas sollicité de cette façon dans la vraie vie !»… Récemment, Melle Sharif me dit : « On est cloîtré dans ce foyer, il n’y a que ça dans notre vie ! On est isolé, on fait peur ! on est malade ! Il n’y a aucune place pour les marginaux ! et pourquoi ? Vous savez chaque année il y a la gay-pride, vous savez ? Ils s’affichent, ils ont le droit eux, d’être comme ils sont, mais nous non ! Et ça je comprends pas… Pourquoi nous, on n’aurait pas le droit d’être des marginaux ? Pourquoi nous, on n’est pas accepté avec notre marginalité ? »…
Je voudrais revenir sur ce problème d’incurie dont l’odorat pose plus de problème : Plus les soignants s’acharnent sur le patient, moins il se lave, que cela veut-il dire ?... Si l’on croit que l’odorat, bien qu’il soit le sens le moins éduqué, le moins élaboré verbalement, il est inconsciemment la plus puissante des communications inter-humaines, (G. Harrus-Révidi, 1987)[49], le patient tente donc de dire quelque chose à travers cet odorat.
La conséquence la plus manifeste de cet idéal dominant « cause-effet-solution » est comme nous l’avons vu la « non-rencontre » avec le psychotique, j’ajoute que si je n’avais pas connu les patients par moi-même, les ateliers n’auraient pu donner les informations que j’ai pu donner sur ces derniers.
Comment comprendre qu’aujourd’hui, dans nos sociétés, le psychotique ne soit perçu que comme un ensemble de symptômes et de déficiences, et comment alors comprendre ce rejet de tous les symptômes et déficiences ?... La souffrance que la psychose engendre, et que ce rejet de la part du soignant engendre est manifeste à travers les paroles et le comportement (soit de soumission soit de résistance, ou des deux à la fois) des patients. Quelle place pour cette souffrance psychique ?... A force de ne parler que de symptômes à éradiquer, on n’oublie que le psychotique vit, désire et souffre, et sa souffrance n’est aucunement prise en compte.
La question de la souffrance psychique est un des aspects les plus oubliés dans cette approche moderne ; tout comme les troubles psychiques, la souffrance psychique est représentative de ce qui n’est pas la norme de l’homme moderne. Et pourtant, cette souffrance accentuée par la non rencontre, par un isolement, est particulièrement déjà inhérente à la folie ; et tout comme cette dernière, elle est mal définie, qui comme le dit C. Barthélemy dans L’homme et la folie, « n’appartient ne tout à fait à la philosophie, ni tout à fait à la Médecine, la souffrance psychique renvoie pourtant, et tout autant que la folie ou le cogito cartésien, à une expérience irrécusable. L’expérience de la souffrance, lovée au creux du temps subjectif au sein duquel elle va se dérouler, apparaît fondatrice et organisatrice du psychisme ». Avant tout, dans le domaine de la psychiatrie, dans les foyers post-cure où l’on fait « rêver » le patient de normalité, d’insertion sociale, ne doit-on pas commencer par avoir une écoute spécifique, et des paroles qui parlent ?... Avant de vouloir à tout prix que le psychotique se confronte à la société (telle que nous l’entendons), et la société à lui, (ce qui reste bien abstrait), ne doit-on pas commencer par nous confronter à lui tel qu’il se présente à nous ?...
La folie est une « maladie » à part, pour la raison qu’elle atteint le psychisme. Il est impossible d’avancer, et de vouloir aveuglement « prouver » encore longtemps, que les nouvelles approches qui utilisent toutes cette parole « rationnelle : cause-effet-solution » sont capables d’aider les patients psychotiques en quelque domaine que ce soit, (voire les « modifier » complètement) ! Car le psychotique est un Sujet unique avec lequel la rencontre (qui pourrait engendrer une éventuelle ouverture – ne parlons pas de normalité ! -) ne pourrait être possible que s’il est considéré dans toute son épaisseur, Sujet du plaisir et de la souffrance « animé de désir et doté d’un inconscient régi par ses lois propres ». Mais au lieu de cela, comme nous l’avons vu, nous avons affaire à une réduction étonnante et scandaleuse du Sujet/psychotique, à travers les différents clivages « techniques », et qui ont fini par instrumentaliser la parole du soignant moderne…
Ce comportement m’amène à une autre question, bien évidemment je ne pourrai pas répondre à toutes ces questions, mais je tente de réfléchir autour de cette objectivation, et je me demande si nous ne sommes pas face au phénomène inconscient dont Searles parle : l’effort pour rendre l’autre fou (entre autres) ?...
C. La parole instrumentale en tant que rationalité instrumentale proche du fonctionnement opératoire ou l’effort inconscient de rendre l’autre fou ?…
D’après de nombreuses recherches et systématiques, et je l’ai moi-même observé d’après les dossiers et la réalité environnementale au quotidien des patients schizophrènes, les parents de ces derniers ont été et sont souvent incapables de proposer une relation affective stable et cohérente à leur enfant (Lamperière, Bergeret, Racamier, Searles…)[50] ; je me réfère ici tout particulièrement à tous les patients schizophrènes dont j’ai parlé dans ce travail à savoir : M. Hubeau, Melle Sharif, M. La Bocca, Mme Paul, M. Didier et Anne. Il n’est pas question de faire une étude sur la famille des psychotiques, mais je retrace quelque peu un élément d’une extrême importance lorsque nous travaillons dans ce domaine.
En général, les parents sont souvent bien adaptés socialement, hyperconformiste, évitant les contacts extra-familiaux. Le père est décrit absent ou bien passif, et lorsqu’il fait appel à son autorité, celle-ci s’exprime à travers une attitude agressive. La mère est plus complexe à décrire, à la fois dominatrice et indifférente, elle a des attitudes très paradoxales de hyperprotection et de rejet. Vis-à-vis du fils, il y aurait plus une attitude de séduction, et vis-à-vis de la fille une agressivité et autorité abusive. Le couple parental, s’il existe, aurait une fausse apparence de stabilité, on repère souvent un mépris du conjoint… (Lamperière, 2000).
Dans l’ouvrage de Searles en autres, l’accent est mis sur le « double bind ». A la page 118-119, Searles écrit : « Gregory Bateson et ses collaborateurs introduisent l’idée que la relation de « double entrave » (double bind) – dans laquelle l’enfant se trouve pris au piège d’injonction irrémédiablement contradictoire de la part de la mère –est d’une importante particulière dans l’étiologie de la schizophrénie. Searles rajoute que l’enfant est coincé dans ce genre de relation avant tout par sa propre ambivalence qui comprennent des éléments de sollicitude, de dévouement et de loyauté sincères pour la mère qui elle-même se trouve piégée, et autant que l’enfant, victime de cette « double entrave »…
Dans ce mémoire, il est difficile de retracer point par point le travail précieux que Searles nous a apporté dans son œuvre l’effort pour rendre l’autre fou, mais il est nécessaire que dans le cadre de ce sujet précis, j’évoque l’omnipotence du parent du schizophrène et le sacrifice de l’individualité de cet enfant. Searles écrit : « (p68-69), En relation avec ce second point, on peut voir comment le parent ‘omnipotent’ qui se sent coupable encourage l’enfant à croire qu’il pourra tout recevoir, en fait, comme son dû légitime (…) p 121, On s’aperçoit alors que la maladie schizophrénique représente, au fond, le sacrifice que, par amour, l’enfant fait de son individualité même, pour le bien de la mère, de cette mère qui est aimée sincèrement, de façon altruiste et avec l’adoration fervente que seul un petit enfant, ordinairement, est capable d’offrir. (p167, Il l’aime (la mère) si profondément qu’il sacrifie sa propre individualité en développement à la symbiose si indispensable au fonctionnement de la personnalité de la mère ». Ne pouvons-nous nous demander si les patients schizophrènes finissent par « jouer le jeu », c’est parce qu’ils ont d’ors et déjà connu cette situation, et qu’inconsciemment ils reproduisent le même schéma ?... Ce ne sont que des hypothèses, peut-être hâtives, peut-être ai-je tort, mais n’y aurait-il pas dans cette parole instrumentale qu’elle soit de la part du psychologue ou de la part des infirmiers un rapport d’omnipotence/sacrifice qui s’installe facilement malgré tout avec ces patients, (un rapport, il faut peut-être le dire, qui pourrait difficilement s’installer pas avec une autre personne)… En effet, il est important de souligner que souvent ils ont un rapport très soumis envers les thérapeutes, et qu’ils leur portent, après tout, une sorte d’adoration (ils leur font des petits cadeaux, les flattent : leur dire qu’ils sont bien habillés, faire des réflexions flattant leur égo, qui les mettent toujours sur un niveau de supériorité…).
Je suppose que ce qui se joue également inconsciemment dans ce type de rapport, à travers la parole instrumentale c’est également l’effort pour rendre l’autre fou. Searles insiste sur le fait que parmi tous les facteurs étiologique de la schizophrénie, c’est l’effort continu de rendre l’autre fou : « (p155, Parmi tous les facteurs étiologiques de la schizophrénie, facteurs assurément complexes et, de plus, fort variables d’un cas à l’autre, on découvre qu’intervient souvent – je dirai même régulièrement – un élément spécifique. D’après mon expérience clinique, l’individu devient schizophrène, en partie, à cause d’un effort continu – largement ou totalement inconscient – de la ou des personnes importantes de son entourage, pour le rendre fou ». Il faut aussi souligner que cet effort devient mutuel
(Peut-être oserai-je avancer que avec cette idéologie de la rationalité de nos société moderne, nous finissons par fonctionner avec une toute-puissance de la pensée qui inconsciemment tente de rendre l’autre fou ?...).
L’effort pour rendre l’autre fou pourrait être motivé par un désir d’extérioriser et éliminer la folie que l’on sent menaçante en soi… Ce point que Searles énonce à la page 166 de son ouvrage est très intéressant pour comprendre la « logique » de cette parole qui tente de dénier la réalité psychique du psychotique. En effet, ce qu’elle ne veut justement pas prendre en compte c’est la folie. On pourrait le comprendre de cette façon : le fait de s’obstiner à éradiquer les délires, la réalité psychique à thème délirant (et autres aspects « dérangeants ») du patient serait une manière de dénier la folie que les thérapeutes ont en soi ?...
Parmi d’autres points inconscients qui pourraient se rejouer dans ce type rapport, il y a aussi l’évitement du conflit, en effet, sous la menace constante de la colère du thérapeute, (qui dans sa colère fait croire qu’il peut décider du sort du patient) ce qui engendre l’angoisse d’être mis à la porte si ce qui est demandé n’est pas fait, les patients répondent « positivement » (en se sacrifiant), Searles écrit : « On peut prouver un autre motif dans le désir de voir cesser une situation conflictuelle intolérable et pleine d’incertitude. Si, par exemple, une mère menace souvent, devant son enfant, de devenir folle, ce qui impliquerait pour lui une catastrophe si cette personne indispensable se retranchait ainsi de la situation... ».
Ce que j’aimerais dire pour conclure c’est que la parole « rationnelle : cause-effet-solution », en déniant la réalité psychique à thème délirant du patient psychotique, en morcelant le sujet, semble profondément porter en elle le désir de meurtre inconscient de tout ce qui ne représente pas la norme…
3. La mort des conceptions psychanalytiques et disparition du sujet
Je terminerai ce travail presque en rappelant ce triste constat de la mort à feu doux de toutes les conceptions psychanalytique autour de la folie.
Au Foyer X., je n’ai, pas une seule fois entendu parler de Freud, de M. Klein, de Searles, ou encore de Lacan…
Or comment se passer des conceptions psychanalytiques dans l’approche de la folie ?
Nous savons que c’est tout particulièrement deux courants psychanalytiques qui se dégagent parmi la multiplicité des théories des premières recherches… Le premier courant est celui d’Abraham, et particulièrement de M. Klein qui applique à la psychose un modèle dynamique analogue à celui des névroses. Pour lui la genèse de la psychose correspond à des conflits liés à un stade précoce de développement. Le deuxième courant est celui de Tausk, Federn et Lacan, qui met l’accent sur les particularités du Moi psychotique, autrement dit ses rapports avec la réalité (De Mijolla A., 1999)[51]. Bien que Lacan s’inscrive dans ce dernier courant, sa perspective lui est propre, et ses travaux sont fondamentaux dans la compréhension des psychoses : Il avance l’hypothèse d’un défaut fondamentale qu’il appelle « la forclusion du nom du Père ».
C’est brièvement sur cette hypothèse que je désire m’attarder pour montrer ô combien il est primordial de tenir en compte ces conceptions psychanalytiques dans le domaine de la psychiatrie.
Si je reprends les cas que j’ai évoqués en détails : Melle Shérif, M. Hubeau, M. Caipre, M. Kanina, M. La Bocca, Je me rends compte de l’importance de cette hypothèse lacanienne (entre autres) dans la « compréhension » de la psychose. C’est dans le Séminaire III (1955-56)[52], et dans la Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose (1958-59)[53],
que Lacan dégage le concept de forclusion du Nom-du-Père.
L’hypothèse est la suivante : Il y a chez le psychotique une carence paternelle non pas imaginaire, mais symbolique. Ce que Freud avait déjà décelé comme « complexe paternel » dans le délire de Schreber. Ce qui signifie que cette carence relève de la structure, elle ne se donne pas, mais se déduit. Nous pouvons de ce fait comprendre l’énormité que les figures de Dieu peuvent prendre chez un sujet psychotique, en effet, comme le dit J-C Maleval, « (p90) Faute de la médiation paternelle, le psychosé ne dispose guère que de l’axe imaginaire, morcelé ; cependant, au sein de la multitude des êtres imaginaires, il s’introduit, comme le note Lacan ‘d’une façon déformée, et profondément a-symbolique, le signal central d’une médiation possible’. Le travail du délire génère la production de pères mythiques avec une fréquence remarquable (…). Ce qui est forclos du symbolique fait retour dans le réel, or il est manifeste que rien ne fait plus volontiers retour dans le délire que des figures paternelles –certaines pacifiantes, d’autres inquiétante ». Dans la réalité psychique (délirante) du psychotique il y a très souvent des fantasmes de rédemption : réconcilier les hommes avec Dieu.
M. Hubeau, comme Melle Shérif m’avouent lors de l’atelier « photo-jeu », lire tous les soirs assidûment la Bible, pour lutter contre le Diable, pour la paix dans le monde, car tous les deux se sentent persécutés, M. La Bocca s’est converti à un Islam orthodoxe, et ne cesse d’évoquer sa religion et son Dieu supérieur à tous ceux des autres… Il y aurait ici une sorte de transmission la parole du Père, une annonciation d’une création d’un monde meilleur, ce qui soulagerait le psychotique. J-C. Maleval dit à ce sujet « (p90) qu’en première analyse, c'est-à-dire en s’en tenant à la thématique imaginaire, que quelque chose lui fait défaut concernant la fonction paternelle ». (Précisons que cet appel au Père est souvent un appel à un Père capable de limiter la jouissance, et pourtant la structure psychotique reste dominée par le Père jouisseur en raison de la carence du Père symbolique).
Pour Lacan, la fonction paternelle opère comme une métaphore, par substitution d’un signifiant à un autre signifiant, comme le dit A. Vanier[54], « (62) Au désir de la mère, désir obscur, voilé, qui se manifeste par exemple par ses allers et venues et qui sont comprises la l’enfant comme pu caprice, sans loi, est substitué le Nom-du-Père, comme représentant, pour l’enfant, d’un désir de la mère autre que lui-même. Le père est donc cette fonction tierce qui permet au sujet de sortir de l’impasse imaginaire. En effet, au stade du miroir, cet autre moi-
même dans le miroir est à la fois « moi » et à la fois « un autre ». Il y a d’une part une captivation par cette image spéculaire, captivation érotique, amoureuse, et d’autre part il y une tension agressive. Cette identification se fonde sur une logique d’exclusion : ou moi ou l’autre. Cette situation serait sans issue s’il n’y avait pas la médiation d’un tiers, tiers nécessaire, qui est tout d’abord, on l’a vu, la mère authentifiant cette image, mais tiers qui passe par la mère –sa parole, le langage – et dans lequel déjà la question du père se trouve posée… » En l’absence de cette métaphore paternelle, s’ouvre un trou dans le signifié, ce qui va amorcer la cascade de remaniements du signifiant d’où découle le désastre croissant de l’imaginaire. C’est alors que le grand Autre se déchaîne sans la signification phallique… D’où la difficulté à donner un sens à son mode, et de l’habiter.
Ce concept psychanalytique est un concept parmi d’autres, complexe comme peut l’être le sujet psychotique en particulier… Il est illusoire de penser qu’il pourrait y avoir une possible entente, ou une unification des approches/communication « cause-effet-solution » et l’approche psychanalytique, autrement dit de penser qu’il pourrait être possible d’utiliser une parole qui ne parle pas, tout en se « référant idéalement » (d’une manière très abstraite et clivée) à une approche psychanalytique !... Car rappelons que le Foyer X, lié à l’Institution X, se réfère à soi-disant à la psychanalyse et tout particulièrement à Racamier ![55]...
Les Foyers post-cure tout particulièrement sont sensés être des espaces transitionnels institutionnels, (théoriquement le Foyer X. est sensé l’être,- j’ai d’ailleurs récemment entendu M. F. dire : « ce lieu est espace transitionnel » !-), donc inhérent aux conceptions/références psychanalytiques ; ils seraient des espaces de suppléance où « (p600) doit pouvoir se négocier une activité de déplacement générative, c'est-à-dire qui assure ses propres développement et enrichissement au fur et mesure que se déploient des investissements redevenus tolérables. Il offre une possibilité d’extériorisation de l’espace psychique interne du patient sur le cadre thérapeutique, permettant par là même un travail de figuration des affects et de décondensation des imagos internes, la reprise d’une activité de liaison, de représentation et de déplacement, la diffraction des investissements transférentiels et une meilleure tolérance à la conflictualité… » (A. De Mijolla, Psychanalyse, 1999).
Conclusion
Dans ce travail j’ai tenté de mettre en relief l’importance de la parole que l’on adresse au psychotique et la manière dont on la lui adresse… En un mot, la parole révèle peut-être « tout » de celui qui l’énonce ; peut-être pourrions-nous dire ceci : « Dis-moi comment tu parles/ce que tu dis, et je te dirai qui tu es »… Et peut-être pourrions-nous continuer ainsi : « Dis-moi comment tu parles/ce que tu dis, et je te dirai ce que ta parole induit chez l’autre »… Surtout lorsque cet « autre » est un psychotique…
La manière dont on parle et la parole que l’on adresse à l’autre n’est jamais une chose anodine, ne révèle jamais du hasard, loin s’en faut… Et c’est cela que j’ai voulu mettre en évidence dans ce mémoire.
Travailler sur la parole n’est pas simple, mais le matériel était abondant (si je peux me permettre de dire cela) sur le lieu de mon stage, ce qui m’a permis de mettre à jour ce travail théorico-clinique d’une manière très « concrète ».
J’ai tout d’abord mis en parallèle l’évolution de la parole « rationnelle : cause-effet-solution » à celle de la « médicalisation de l’existence » (qui contrairement à la parole « instrumentale » est bien connue du grand public), en insistant bien sur le fait qu’en psychiatrie il ne s’agit plus d’une « simple médicalisation », mais d’une « médicalisation intensive de la folie »… J’ai tenté de montrer que cette parole n’est en réalité plus « une parole adressée à », mais une sorte de « parole-médicament administrée à »…
Une fois la parole instrumentale introduite, j’ai essayé de comprendre ou d’interpréter ce faux rapport qu’elle induit avec le psychotique; pour cela il m’a été nécessaire d’intégrer un concept de la psychosociologie qu’est « la rationalité instrumentale ». J’ai pensé que la parole rationnelle : « cause-effet-solution » pouvait être rapprochée à ce phénomène, et je soulignais à la fois le fait que derrière ce fonctionnement, il y avait quelque chose de l’ordre d’une idéologie d’une société donnée à une époque donnée, en l’occurrence une société industrialisée dite rationnelle et pragmatique au 21ème siècle, sur lequel il est difficile de fermer les yeux.
Je comprends donc la parole « rationnelle : cause-effet-solution » comme une rationalité instrumentale, comme un mécanisme de défense contre la réalité psychique (délirante) du psychotique, sujet unique de l’inconscient… En articulant la littérature à la clinique, j’ai toujours insisté sur la conséquence que cette parole induit : la disparition du sujet psychotique, (par ailleurs il est essentiel de rappeler, que sans ma propre expérience - ma rencontre avec les patients dans la salle de jeu, et lors de l’atelier photo-jeu - je n’aurais rien appris/rien pu restituer sur les patients… Ils auraient été pour moi de parfaits étrangers).
J’informe dans ce travail que la rationalité instrumentale est une forme perverse de la rationalité, et qu’elle se manifeste pour des motifs conscients et inconscients. Dans le cadre de mon travail je la comprends surtout comme un déni de l’altérité de l’autre, tout particulièrement de l’autre fou (si différent de soi). Les motifs conscients de ce mécanisme de défense seraient entre autres, d’atteindre à tout prix des buts calculés/des projets prédéterminés dont les résultats sont connus à l’avance, et qui « démontreraient » que le foyer fonctionne/marche sans se soucier de la réalité du psychotique ; la parole instrumentale est l’outil plein d’avenir nullement remis en question… Le surinvestissement de la réalité extérieure et le contre investissement de la réalité psychique est tel qu’il est tentant de rapprocher ce fonctionnement à la pensée opératoire, ce que par ailleurs, je fais. Seulement, rien n’est aussi simple, je nuance à la fin de mon travail cet aspect opératoire, qui n’est en fait qu’un jeu étrange de la part du corps soignant… Alors comment comprendre un fonctionnement aussi complexe ? C’est ainsi que je m’attarde sur les motifs inconscients de cette rationalité instrumentale dans le domaine de la psychiatrie, et j’évoque l’effort pour rendre l’autre fou entre autres… En toile de fond, se trouvent toujours les patients, les exemples cliniques montrent ô combien ils sont raillés, bafoués, effacés, j’ai même envie de dire mis à mort… J’aimerais ici reprendre ce que P. Fédida disait lors de son cours de maîtrise en 2002, et qui conclut en quelques lignes l’idée générale autour de ce que la parole instrumentale provoque chez le psychotique : « Dans les hôpitaux psychiatriques qui subsistent, les patients qui sont sous neuroleptiques, et qui continuent à délirer mais que plus personne n'écoute, là, le délire s'est complètement enkysté et vous avez affaire pratiquement à ce qu'on appelle des déments, c'est à dire des sujets qui ne sont plus jamais écoutés, plus jamais ».
La parole instrumentale empêche de restituer les liens, l’histoire, empêche de retrouver une vérité derrière les « délires », les non-dits, le non-pensé, les messages contradictoires, la violence secondaire de la parole parentale, ou encore de déchiffrer les fragments de textes qui échappent au sujet dans le fil de la parole… En « technicisant »/instrumentalisant le sujet psychotique, elle ne peut que provoquer un désastre. Et j’ose avancer que cette inquiétante et dangereuse réduction du sujet psychotique ne pourra ne pas être mise en échec dans les années à venir…
Je termine enfin ce travail par l’évocation à nouveau de quelques auteurs déjà cités dans ce travail, et que je rejoins entièrement : J-C Maleval, lorsqu’il dit que le vrai rapport, essentiel dans ce domaine plus que dans d’autres, permettrait d’éviter de planifier la cure en fonction d’idéaux normatifs, lesquels à trop vouloir le bien du sujet ramènent volontiers au pire… A. Green, qui nous dit que le désir de trouver un équivalent peut-être dans les sciences humaines de ce qui change le visage des mathématiques avec le concept d’ensemble – ne dispensera pas, contrairement à ce que l’on pense, d’avoir à rendre compte de la spécificité du psychisme et de la nécessité d’une conception du sujet … Et je termine tout particulièrement sur que dit Freud au sujet du « dépositaire du savoir » qui restera toujours vrai pour l’être humain, - doit-on tristement rappeler pour le psychotique d’aujourd’hui aussi - : L’effet thérapeutique réside dans la totale liberté laissée à la parole du malade, car c’est celui qui est malade qui est dépositaire du savoir sur son symptôme et non pas le thérapeute…
La parole « rationnelle : cause-effet-solution » nous amène à nous poser d’innombrable questions, entre autres : du point de vue de l'histoire : notre rapport à la folie... Et également sur le « dépositaire du savoir »...
Bibliographie
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- Zarifian E., Le prix du bien-être, psychotropes et société, Editions Odile Jacob, 1996, Paris.
- Zarifian E., Les jardiniers de la folie, Editions Odile Jacob, 1988, Paris.
Index



[1] Roudinesco E., Pourquoi la psychanalyse, Editions Fayard, 1999, Paris.
[2] C. Barthélemy, L’homme et la folie, http://www.eg-psychiatrie.com/article.php3?id_article=185
(C. Barthélemy est psychiatre, il a écrit de nombreux articles dans des revues psychiatriques renommées).
[3] Zarifian E., Des paradis plein la tête, Editions Odile Jacob, 1994, Paris.
[4] Zarifian E., dans Le prix du bien-être, psychotropes et société, nous apprend que l’on prescrit en France deux à quatre fois plus de médicaments psychotropes que partout ailleurs en Europe (p9).
[5] Zarifian E., Les jardiniers de la folie, Editions Odile Jacob, 1988, Paris.
[6] Zafiropoulos, M. Tristesse dans la modernité, editions Anthropos/ Economica, Paris,1996
[7]Zafiropoulos M. op. cit. p52.
[8] Assoun P-L., « Le préjudice inconscient et ses plus-values sociales », in Les solutions sociales de l’inconscient », sous la direction de P-L. Assoun et M. Zafiropoulos, Editions Anthropos, 2001, Paris.
[9] Green A., « Méconnaissance de l’inconscient, science et psychanalyse), in L’inconscient et la science, Editions Dunod, 1991, Paris.
[10] Darcourt G., « Le cognitivisme et la pratique psychiatrique », in Information psychiatrique, Volume 76, n°2, Février 2000.9. Lemonnier E., « Schizophrénie : Point de vue cognitif », in Information psychiatrique, Volume 76, n°2, Février 2000.
[11] Lemonnier E., « Schizophrénie : Point de vue cognitif », in Information psychiatrique, Volume 76, n°2, Février 2000.
[12] Zarifian E., Des paradis plein la tête, Editions Odile Jacob, 1994, Paris.
[13] Searles H., L’effort pour rendre l’autre fou, Editions Gallimard, 1977.
[14] Giust-Desprairies F., « La rationalité comme défense dans la relation éducative », », in Revue Internationale de Psychosociologie, Volume IV – n° 8, Automne 1997, Editions ESKA, Paris.
[15] Barus-Michel J., « Sens ou efficience, démarche clinique et rationalité instrumentale », in Revue Internationale de Psychosociologie, Volume IV – n° 8, Automne 1997, Editions ESKA, Paris.
[16] Lévy A., « Retour sur la notion de rationalité, dans la perspective des sciences cliniques », », in Revue Internationale de Psychosociologie, Volume IV – n° 8, Automne 1997, Editions ESKA, Paris.
[17] Pascal J.C, Trémine T., « La question des neurosciences posée aux psychiatres », dans Information psychiatrique, Vol 79, n°1, janvier 2003.
[18] Labergère Olivier, « « Le ‘paradigme cognitif’ ou la suprématie de l’homo animalis en psychiatrie », in Information Psychiatrique, Vol 79, n°7, septembre 2003).
[19]Je désire ouvrir une parenthèse pour clarifier la différence entre diverses sciences cognitives (en théorie !) : Je reprends la définition de H. Oppenheim-Gluckman (dans « la psychiatrie entre psychanalyse et cognitivisme », in L’information psychiatrique, n°2, Février 2000.), « (p138), La psychologie cognitive est une psychologie expérimentale. Elle regroupe des théories diverses. Elle n’a pas d’orientation faisant l’objet d’un consensus. Il n’existe pas d’unité entre ses différentes tendances. Alors que la neuropsychologie cognitive prend en compte les fondements biologiques et la base cérébrale des processus cognitifs et des comportements, d’autres courants s’abstraient des structures cérébrales pour créer des courants de la psychologie cognitive, critique les modèles qui se rattachent trop étroitement à la physiologie du cerveau ». Ceci étant dit, dans la pratique la différence ne me semble pas être aussi bien définie ; ayant fait mon stage de maîtrise en neuropsychologie à l’hôpital Broca, et ayant suivi des séances de « stimulation cognitive » destinées aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer, je ne distingue pas si clairement, dans la pratique du moins, la neuropsychologie cognitive de la psychologie cognitivo-comportementale.
[20] Dubost J., « La logique instrumentale et la question du sens », », in Revue Internationale de Psychosociologie, Volume IV – n° 8, Automne 1997, Editions ESKA, Paris.
[21] J. Barus-Michel, op., cit.
[22] La paternité du concept « rationalité instrumentale » revient à l’école de Francfort (Adorno, Habermas). Elle interprète ainsi la rationalisation wébérienne en soulignant la toute-puissance de la logique capitaliste qui diffuse une logique moyens-fins dans une volonté de maîtrise du temps.
[23] La rationalité instrumentale, in Revue Internationale de Psychosociologie, Volume IV – n° 8, Automne 1997, Editions ESKA, Paris.
[24] Lévy A., op., cit.
[25] Dubost J., op., cit.
[26] Freud S., Totem et Tabou, Editions Petite Bibliothèque Payot, 1977, Paris.
[27] Zarifian E., La force de guérir, Editions Odile Jacob, 1999, Paris.
[28] Duparc F., « Malaise dans la réalité », In Revue Française de Psychanalyse, 1-2, Janvier-Mars, 1995, p.259.
[29] Duparc, op., cit.
[30] Freud S., « Psychologie des foules et analyse du Moi », in Essais de psychanalyse, Editions petite bibliothèque Payot, 2001, Paris.
[31] Zafiropoulos M., « La solution paternelle en déclin ? » in Les solutions sociales de l’inconscient », sous la direction de P-L. Assoun et M. Zafiropoulos, Editions Anthropos, 2001, Paris.
[32] Le Guen C., « Le principe de réalité psychique », In Revue Française de Psychanalyse, 1-2, janvier-mars, 1995, p.259.
[33] Freud en parle pour la première fois dans Esquisse.
[34]Lemaigre B., « Intentionnalité, affectivité et réalité psychique, In Revue Française de Psychanalyse, 1-2, Janvier-Mars, 1995, p.259.
[35] Fonagy P., « Le jeu avec la réalité : le développement de la réalité psychique et son dysfonctionnement chez les personnalités borderline », In Revue Française de Psychanalyse, 1-2, Janvier-Mars, 1995, p.259.
[36] Zafiropoulos M. Tristesse dans la modernité, op., cit.
[37] Puget J., « La réalité psychique : son impact sur l’analyste et le patient aujourdh’ui. Réalité psychique : concept théoriques. Réalité psychique ou réalités », In Revue Française de Psychanalyse, 1-2, Janvier-Mars, 1995, p.259.
[38] - Aulagnier P., L’apprenti-historien et le maître-sorcier, Paris, PUF, collection Le Fil Rouge, 1984
[39] - Freud S., « Construction dans l’analyse » in Résultats, Idées, Problèmes II, 1921-1938, PUF, 1985, Paris.
[40] - Freud S., L’homme aux loups, Editions Puf, 1990, Paris.
[41] Rangell L., « Les réalités psychanalytiques et le but de la cure analytique », In Revue Française de Psychanalyse, 1-2, Janvier-Mars, 1995, p.259.
[42] C. Barthélemy, L’homme et la folie, http://www.eg-psychiatrie.com/article.php3?id_article=185
(C. Barthélemy est psychiatre, il a écrit de nombreux articles dans des revues psychiatriques renommées).
[43] Maleval J-C., Logique du délire, Editions Masson, 1996, Paris.
[44] Guez.C., Coudray J-P., Du fou au bateleur, Presses de la Renaissance, Paris, 297, 1984).
[45] De M’Uzan M., « Misère de l’idéal du Moi », in Nouvelles Revue de Psychanalyse, 1983, p17.
[46] M. F., a très récemment mis en place, pour la première fois, un autre atelier qu’il intitule « affirmation de soi » où il apprend aux patients comment s’affirmer. C’est une thérapie encore une fois de type cognitivo-comportemental qu’il va présenter lors d’un colloque qui a eu lieu en octobre 2004. Dès la première séance, M. F., parlait de « succès », avant même la fin, il écrit sur l’atelier dont il connaît déjà « l’excellent résultat »…
[47] M. Zafiropoulos, op., cit.
[48] Fine A., « L’opératoire comme négatif de la réalité psychique », In Revue Française de Psychanalyse, 1-2, Janvier-Mars, 1995, p.259.
[49] Harrus-Révidi G., La vague et la digue, du sensoriel au sensuel en psychanalyse, Editions Payot, 1987, Paris.
[50] .Bergeret J., Psychologie pathologique, théorique et clinique, Editions Masson, 2000, Paris.
. Lemperière Th., Féline A., Gutmann A., Adès J., Pilate C., Psychiatrie de l’adulte, Editions Masson, 2000, Paris.
. Racamier P-C., Les schizophrènes, Editions Payot, 1980, 1990, Paris.
. Searles H., L’effort pour rendre l’autre fou, Editions Gallimard, 1977.
[51] De Mijolla A., De Mijolla Mellor S., (sous la direction de), Psychanalyse, Puf, 1999, troisième édition corrigée, (première édition 1996), Paris.
[52] Lacan J., Les psychoses, Le Séminaire, Livre III (1955-56), texte établi par J.-A Miller, Paris, 1981.
[53] Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose (1958-59) », in Ecrits, Editions du Seuil, Paris 1966.
[54] Vanier, A., Lacan, les Belles lettres Bussière Camedan impr., 1998.
[55] Depuis l’année universitaire 03-04, l’institution X, a accepté de mettre en pratique l’idée suggérée par M. F., à savoir l’obligation formelle à tous les stagiaires de l’Institution X de participer à une supervision mensuelle de deux heures (21h-23h - sans laquelle le stage ne pourrait être validé -). C’est lors d’une de ces supervisions que j’ai pu apprendre par une psychanalyste travaillant dans un autre secteur, que l’Institution X. se référait à la psychanalyse et tout particulièrement aux travaux de Racamier !…

Bibliographie :
- Ayme J. ; M. Ciardi et M. Zafiropoulos, in Revue Synapse, n°73, février 1991.
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- Bailly-Salin (Dr); M. Reynaud et M. Zafiropoulos in Revue Synapse, n°84, mars 1992.
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